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être efficace, l’isolement doit être complet et le séquestre absolu. Mettre les détenus en présence dans les ateliers, et leur imposer la loi du silence, a le double inconvénient de créer une contrainte odieuse et illusoire, et de maintenir tous les mauvais effets des communications actuelles. Si l’on veut sérieusement changer de régime, il convient d’écarter les malentendus et les fictions.

Divers reproches ont été faits à la mesure de l’isolement systématique. Cette peine est, dit-on, un épouvantail pour le criminel : elle jette dans un sombre abattement les hommes qui supportaient avec le plus d’insouciance les fatigues des bagnes et les travaux des maisons centrales ; ils ont peur du silence et de l’oubli, ils ne peuvent s’habituer à la perspective de cette tombe anticipée. Jusqu’ici l’objection n’est pas sérieuse ; elle prouve seulement que la peine a une sanction, qu’elle inspire une terreur salutaire. L’emprisonnement en commun n’intimidait pas, l’emprisonnement solitaire intimide ; c’est le plus bel éloge que l’on puisse faire de ce dernier moyen de répression, et, dans la bouche des intéressés, cet éloge a plus de valeur encore. Il est vrai qu’on accuse en outre l’isolement d’exercer une action funeste sur la santé et sur la raison des détenus, d’accroître la moyenne de la mortalité pénitentiaire, et surtout d’engendrer de nombreux cas de folie et d’hébétement. À l’appui de ce grief, la statistique expose des calculs victorieux que détruisent les calculs non moins concluans de la statistique opposée. Cette science est coutumière de ces luttes : il faut s’en servir avec prudence, comme d’une arme à deux tranchans. En admettant même comme vrai un fait suspect, quand il serait aussi prouvé qu’il l’est peu que la vie cellulaire est moins favorable au condamné que la vie en commun, il faudrait encore mettre en balance d’un côté l’intérêt social tout entier, de l’autre les chances de longévité du rebut de la population. Que tout homme ait droit à la compassion de ses semblables, rien de mieux ; mais, pour être judicieuse, cette compassion ne doit pas sacrifier le grand nombre au petit, la règle à l’exception. Le premier devoir et le premier soin de toute société sont de s’épurer et de laisser aux générations qui arrivent de meilleurs élémens que ceux qu’elle a reçus des générations antérieures. C’est pour cela que le châtiment a été institué, non comme une dérision, mais en vue d’intimider et de punir.

Quand on envisage l’ensemble des souffrances humaines, on ne s’explique pas ces sollicitudes excessives pour les classes qui en sont le moins dignes. En fait de sacrifices, la société en supporte de bien