Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/783

Cette page a été validée par deux contributeurs.
777
LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

sur le symptôme, ils font prendre le change sur le remède. Pour colorer cette agression d’un prétexte spécieux, volontiers ils se retranchent derrière l’intérêt qu’inspirent les classes laborieuses et s’en déclarent les défenseurs. À ce titre, et comme cela arrive dans presque toutes les causes, on les voit briller aux dépens de la partie. Certes, aucun mandat n’est plus respectable que celui-là, quand il s’exerce dans la limite des réformes possibles et n’est pas un déguisement de la vanité. Rien au monde n’est plus digne d’attention que ces classes inférieures dont les jours s’écoulent dans un travail sans trêve, jusqu’au repos de la tombe. Ce sont les bras de ces hommes qui procurent aux classes aisées des jouissances pleines de raffinemens, et il est, hélas ! trop vrai que plusieurs de ces malheureux peuvent ressentir les atteintes de la faim près des gerbes qu’ils ont récoltées, manquer de vêtemens au milieu des riches tissus qu’ils ont ourdis. Le dénuement et la misère n’ont pas disparu d’ici-bas malgré l’influence de la civilisation : il y a encore plus d’une blessure à guérir, plus d’un besoin à satisfaire. À ce point de vue, la poursuite d’améliorations nouvelles est non-seulement légitime, mais encore obligée. Les cœurs y sont enchaînés, l’intérêt même le commande. Seulement, il ne faut pas imiter les enfans dont parle Plutarque, et essayer, comme eux, de sauter au-delà de notre ombre. La loi de l’humanité est d’aller en avant ; mais c’est précisément parce que cette marche doit être longue, qu’elle ne doit point avoir le caractère d’un tour de force, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, d’une course au clocher.

La société a encore beaucoup à stipuler pour l’homme, cela est vrai, mais à la condition que l’homme ne s’abandonnera pas. Aucun effort d’ensemble ne pourrait l’élever ni à la grandeur morale, ni au bien-être physique, s’il n’y travaillait lui-même constamment et sans relâche. Ici encore la loi du devoir personnel est la seule qui soit féconde et intelligente. Dans l’état de tutelle où vivent quelques classes de la société, l’une de leurs plus grandes garanties est dans l’honneur et le désintéressement des classes qui disposent de l’empire. L’idéal de ce régime, où le plus grand nombre abdique au profit de quelques-uns, serait que le pouvoir s’exerçât un peu plus dans l’intérêt de ceux qui implicitement ou formellement le délèguent, et beaucoup moins pour le bénéfice particulier de ceux qui en sont investis. On parle de progrès social, celui-ci serait le plus urgent à réaliser. Plus de dévouement et de meilleurs modèles dans les rangs élevés, afin d’amener plus d’aisance et de répandre plus de