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LA FLORIDE.

praticable ; le proposer serait vouloir passer pour absurde. Le second nous semble impossible, du moins dans les contrées dont nous parlons. Le libertinage peut bien amener quelques croisemens isolés entre le maître et l’esclave ; mais là où l’esclavage est détruit, comme l’a fort bien démontré M. de Tocqueville, une barrière insurmontable s’élève entre le nègre et le blanc. Nous ne croyons pas que la philantropie ait jamais décidé personne à la franchir. Wilberforce lui-même eût reculé sans doute devant l’obligation de prendre pour femme une négresse, et, à coup sûr, aucune des aimables patronesses de nos sociétés négrophiles ne consentirait à accepter un noir pour époux, ne voudrait donner le jour à de petits mulâtres. Dans toute l’Amérique du Nord, on ne peut espérer d’être plus heureux en s’adressant à la race rouge. Le guerrier, la femme caraïbe, éprouvent pour le nègre autant de dégoût que de mépris, et le zamboë ou métis de ces deux races y est presque inconnu.

Ce n’est donc point sur des rives étrangères que la race éthiopique peut espérer de se perfectionner ; peut-être un jour trouvera-t-elle dans sa propre patrie les élémens de cette régénération. Sur le sol de l’Afrique vivent des hommes de même couleur, il est vrai, mais de races bien différentes. Tous les noirs ne sont pas des nègres, et les Gallas, les Abyssins, malgré la teinte foncée de leur peau, ne le cèdent peut-être sous aucun rapport aux races les plus blanches ; chez eux, le développement du cœur et de l’esprit égale celui du corps, et peut-être n’attendent-ils que le contact de la civilisation européenne pour se placer à notre niveau. Les Caffres eux-mêmes, malgré leurs habitudes errantes, sont bien supérieurs aux nègres. Entre ces noirs et la race éthiopique, le préjugé de la couleur ne peut exister, et c’est en se mêlant aux peuples que nous venons de nommer que celle-ci pourra un jour se relever de l’état constant d’infériorité où la placent l’histoire aussi bien que l’anthropologie.

Si, dans l’état actuel des choses, le nègre est au blanc ce que l’enfant est à l’homme fait, quels rapports doivent donc s’établir entre les deux races lorsqu’elles viennent à se rencontrer ? La réponse nous semble facile. Les peuples les plus civilisés sont précisément ceux où la génération parvenue au milieu de sa course s’occupe davantage des générations qui la suivent. Agir autrement envers ces fils qui doivent nous succéder un jour serait se rendre coupable envers eux, envers nous, envers la société tout entière. Sans direction, l’enfant se perd presque toujours ; il n’ira pas de lui-même préparer son avenir par un travail présent qui le rebute ; abandonné à ses pen-