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phie même de cette personne distinguée et trop peu connue. Dans une préface chaleureuse, mais qu’on aurait seulement voulu trouver un peu plus simple, et par là plus ressemblante encore au modèle, M. H. Romand a raconté, avec une vive sympathie, qu’il fera partager à tous les lecteurs, cette vie dévouée et obscure que la mort vint interrompre si prématurément. Mlle Ozenne était une jeune fille de Louviers arrivée à Paris il y a une douzaine d’années, et qui, à la suite de malheurs de famille, était devenue l’unique providence, l’unique recours des siens. Destinée à une position plus brillante, à une vie plus facile, Mlle Ozenne accepta la nécessité avec abnégation ; elle consacra à l’éducation des autres ses efforts et son talent. Dans cette existence laborieuse, dans cet esclavage d’une vie occupée, du temps se trouvait néanmoins pour les lettres : les relations nombreuses et tout-à-fait distinguées que s’était créées Mlle Ozenne l’induisirent bientôt, comme cela est inévitable dans ce temps-ci, à la publicité des journaux. Elle s’en tira en personne de sens, et on eut d’elle, sous le pseudonyme de Camille Baxton, plus d’une page ferme et élevée. Tandis que les femmes auteurs faisaient dans la presse de mauvais romans, Mlle Ozenne y fit de bonne critique et surtout de bonne critique contre les mauvais romans. Il y avait là au moins le mérite du contraste. Ces jugemens sur la plupart des travaux d’imagination de notre époque sont incomparablement la meilleure partie du recueil qu’on vient de publier. Dans la vue générale de l’histoire de la littérature française qui ouvre le volume, l’auteur, on s’en aperçoit vite, ne possède pas son sujet avec plénitude : c’est une esquisse maigre et très superficielle qu’on eût mieux fait de laisser mourir dans l’Encyclopédie où l’auteur l’avait insérée. Il n’en est pas ainsi des morceaux de critique sur les plus célèbres des romans contemporains ; ils méritaient d’être recueillis, et ils pourront même servir à l’histoire littéraire de notre temps. On y peut regretter çà et là quelques inexpériences de plume, des vues hasardées ou inexactes, des sympathies risquées, des concessions aux engouemens du jour ; en un mot l’arme tremble plus d’une fois aux mains de Clorinde ; mais en somme, des idées généreuses, des remarques finies, quelquefois des vues vraiment originales, toujours de l’élévation et de la noblesse dans la pensée, donnent à ces fragmens un caractère particulier et qui mérite l’attention. Ce volume est digne de franchir le cercle de l’amitié qui en fait hommage sur une tombe, car le public peut s’y intéresser avec profit. De toute façon c’est un souvenir qui honorera la mémoire de Mlle Ozenne.


V. de Mars.