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REVUE. — CHRONIQUE.

contre ce sentiment général. Si on veut appeler le débat sur le droit de visite une bataille, il faut ajouter qu’il n’y a eu que des vaincus ou que des vainqueurs, comme on voudra ; les deux propositions sont également vraies. Le ministère a accepté un amendement qu’il aurait voulu pouvoir repousser ; les amis du ministère ont accepté des commentaires que certes ils n’auraient pas faits : ses adversaires ont dû se contenter d’un amendement rédigé en quelque sorte par le ministère lui-même. Ou bien on peut dire que le ministère a pu, à l’aide de ses amis, faire avorter la pensée d’un amendement plus explicite et impératif, et que l’opposition a forcé le ministère d’accepter une situation qui n’est pour lui qu’un embarras et un péril.

Quoi qu’il en soit, la position n’est bonne pour personne. L’opposition s’est faite bonne fille pour attirer les centres sur un terrain bien glissant pour des conservateurs ; si elle s’en tenait là, au lieu d’avoir été habile, elle aurait été dupe ; les conservateurs, de leur côté, suivent un ministère qui, sur une question vitale, n’est pas au fond de leur avis ; enfin le cabinet n’a pu combattre ouvertement ses ennemis, de crainte de blesser ses amis, et il a dû se résigner à des résolutions que, dans son ame et conscience, il est loin d’approuver.

C’est là une situation précaire, une sorte de mensonge, une réticence convenue et qui ne fait illusion à personne. Les partis eux-mêmes en souffrent, à plus forte raison les individus. Ainsi tout le monde désire, dit-on, arriver le plus tôt possible à quelque chose de net et de décisif. Nous n’en sommes pas surpris ; le cabinet doit le désirer plus que tout autre, car c’est le gouvernement qui a essentiellement besoin de force et d’autorité. Ce qu’il n’a pas fait au sujet du droit de visite, il doit chercher à le faire dans une occasion prochaine. Il faut qu’il sache ce qu’il en est du pêle-mêle au milieu duquel il s’est trouvé ; il faut que la majorité lui dise si, après tout, c’est en lui qu’elle place sa confiance, si c’est avec lui qu’elle compte parcourir sa carrière. La force et la dignité de l’administration sont à ce prix. Le cabinet se trouve en présence d’une chambre nouvelle qu’il connaît peu, qui ne se connaît pas bien elle-même. Elle n’a émis jusqu’ici que deux votes remarquables : le vote de la régence, donné à la monarchie et que tout ministère aurait également obtenu, et le vote d’une adresse que la chambre a cru rendre d’autant plus efficace qu’elle ne touchait en rien aux ministres.

Bref la chambre nouvelle n’a pas encore abordé la question ministérielle. Il y a cent députés dans la chambre pour qui ces luttes, où se développe tout l’orgueil de l’omnipotence parlementaire, sont encore un jeu inconnu. Et cependant ces nouveaux députés sont, dit-on, les moins impatiens. Timides comme des vierges, ils ont plus de curiosité que d’ardeur. Ils ne comptent pas, eux, autant de mariages que de consuls. Les noces et le divorce leur paraissent également chose sérieuse. Que leurs anciens doivent sourire de tant d’innocence ! Ils s’appliquent sans doute à former l’esprit et le cœur de ces nouveaux venus.