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EL BARCO DE VAPOR.

tantôt moirée et gauffrée par le courant ou la bise, tantôt d’un azur terne et mat ou bien d’une transparence de cristal, tantôt d’un éclat tremblant comme une basquine de danseuse, tantôt opaque, huileuse et grise comme du mercure et de l’étain fondu ; une variété de tons et d’aspects inimaginables, à faire le désespoir des peintres et des poètes ! Une procession de voiles rouges, blanches, blondes, de navires de toute taille et de tout pavillon, égayaient le coup d’œil et lui ôtaient ce que la vue d’une solitude infinie a toujours de triste. Une mer sans aucune voile est le spectacle le plus mélancolique et le plus navrant que l’on puisse contempler. Songer qu’il n’y a pas une pensée humaine sur un si grand espace, pas un cœur pour comprendre ce sublime spectacle ! Un point blanc à peine perceptible sur ce bleu sans fond et sans limite, et l’immensité est peuplée ; il y a un intérêt, un drame.

Carthagène, qu’on appelle Cartagena de Levante pour la distinguer de la Carthagène d’Amérique, occupe le fond d’une baie, espèce d’entonnoir de rochers où les vaisseaux sont parfaitement à l’abri de tous les vents. Sa découpure n’a rien de bien pittoresque ; les traits les plus distincts qu’elle ait laissés dans notre mémoire sont deux moulins à vent dessinés en noir sur un fond de ciel clair. À peine avions-nous mis le pied dans les canots pour descendre à terre, que nous fûmes assaillis, non par des portefaix, pour enlever nos bagages comme à Cadix, mais bien par d’affreux drôles qui nous vantaient les charmes d’une foule de Balbinas, de Casildas, d’Hilarias, de Lolas, à n’y pouvoir rien entendre.

L’aspect de Carthagène diffère entièrement de celui de Malaga. Autant Malaga est gaie, riante, animée, autant Carthagène est morne, renfrognée dans sa couronne de roches pelées et stériles, aussi sèches que les collines égyptiennes au flanc desquelles les Pharaons creusaient leurs syringes. La chaux a disparu, les murs ont repris les teintes sombres, les fenêtres sont grillées de serrureries compliquées, et les maisons, plus rébarbatives, ont cet air de prison qui distingue les manoirs castillans. Cependant, sans vouloir tomber ici dans le travers de ce voyageur qui écrivait sur son calepin : toutes les femmes de Calais sont acariâtres, rousses et bossues, parce que l’hôtesse de son auberge réunissait ces trois défauts, nous devons dire que nous n’avons aperçu, à ces fenêtres si bien garnies de barreaux, que de charmans visages et des physionomies d’ange ; c’est peut-être pour cela qu’elles sont grillées avec tant de soin. En attendant le dîner, nous allâmes visiter l’arsenal maritime, établissement conçu dans les