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les Anglais, et peut-être obtenir leur protection. Il fit offrir au général Pollock, qui s’avançait toujours, l’échange des prisonniers ; mais le général avait reçu de nouvelles instructions et l’ordre de ne pas accepter de conditions. Réduit au désespoir, Mahomed-Akbar revint à ses idées de vengeance. L’avant-dernière note du journal de M. Eyre est du 29 juillet, et est ainsi conçue : « Mahomed-Akbar a déclaré ce matin, avec une expression de détermination sauvage, que, si Pollock avance, il nous emmènera tous dans le Turkestan, et nous donnera en présent aux différens chefs. Et soyez sûr qu’il exécutera ses menaces, car ce n’est pas un homme dont on se puisse jouer. »

Nous avons dit ailleurs[1] comment Mahomed-Akbar accomplit en effet ses menaces, comment à l’approche des Anglais il dirigea ses prisonniers sur le nord, et comment ces malheureux, qui se voyaient entraînés vers un esclavage sans doute éternel, furent miraculeusement délivrés, et rentrèrent à Caboul le 23 septembre. Treize femmes, douze enfans, trente-un officiers et cinquante-trois soldats recouvrèrent la liberté après une captivité de deux cent trente-un jours. Ce fut ainsi que se termina cette série d’aventures, de souffrances et de désastres, qui, de quelque manière qu’on l’envisage, forme certainement un des épisodes les plus attachans et les plus tragiques de l’histoire contemporaine.

Redevenus maîtres de ce pays qui leur avait été si funeste, les Anglais se livrèrent aux plus cruels excès et aux plus sanglantes représailles. Ainsi, un corps de troupes marcha sur Istalif, une ville de quinze mille ames, dans le Kohistan, et après l’avoir emportée d’assaut, l’abandonna au pillage et au feu. Un offlcier anglais raconte ainsi cette féroce exécution. « Pendant deux jours, la place fut mise à sac. Tout ce qui ne put pas être emporté fut brûlé. Les soldats, Européens ou Indiens, montrèrent une rage qui était portée à son comble par le souvenir des cadavres de leurs compagnons qu’ils avaient retrouvés dans les montagnes. Pas un homme ne fut épargné, avec ou sans armes ; on ne fit pas un seul prisonnier, tous furent pourchassés et écrasés comme de la vermine ; nul ne songeait à faire merci. Nous avons été bien vengés. Partout où ils trouvaient le corps d’un Afghan, les cipayes hindous mettaient le feu à ses habits, afin que la malédiction d’un père brûlé tombât sur ses enfans. On dit

  1. Voir la livraison de la Revue du 15 décembre dernier.