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à peine assez de force pour se tenir, et, au milieu de souffrances mortelles, il était obligé de faire à cheval des marches forcées pendant des journées entières. Le 23 avril, il rendit le dernier soupir. Le sirdar parut touché de cette triste fin ; il offrit de faire transporter à Jellalabad la dépouille de l’infortuné général. Le corps fut cloué dans une bière et partit sous la garde d’un soldat européen déguisé en Afghan ; mais un parti d’Afghans qui rencontra ce modeste convoi brisa le cercueil et lapida le cadavre. Le sirdar apprit la nouvelle de cette profanation avec colère et fit relever le corps, qui fut dirigé sur Jellalabad avec une nouvelle escorte. Ce jour-là, le major Pottinger dit à Mahomed-Akbar que, si le traité avait été fidèlement exécuté, les Anglais seraient sortis de l’Afghanistan pour n’y jamais rentrer. « Est-ce bien vrai ? répondit le sirdar ; alors, j’ai été un bien grand fou ! »

Un autre jour, les officiers anglais, pendant leur marche, le rencontrèrent assis sur le bord du chemin. « Il paraissait malade et abattu, dit M. Eyre ; mais il nous rendit poliment notre salut. » Il devenait de plus en plus triste et irrésolu. Les troupes qu’il avait envoyées pour réduire Jellalabad avaient été repoussées et avaient abandonné le siége. La désertion et l’indiscipline commençaient à se répandre dans les tribus sauvages, qu’il ne dominait que par l’ascendant du succès.

Mahomed-Akbar semblait alors sentir qu’il avait été trop loin et craindre les conséquences du parti désespéré qu’il avait pris. Cependant il dissimulait ses inquiétudes. Pendant une des conférences qu’il eut avec ses prisonniers, on lui remit une lettre qui lui annonçait que sa famille, captive à Loudiana, avait été affamée pendant une semaine entière par ordre du gouvernement de l’Inde. Les officiers présens s’écrièrent que c’était une fausseté ; mais le sirdar, faisant un effort sur lui-même, répliqua qu’il s’en inquiétait peu, et que la destruction de tous les siens ne pourrait altérer en rien ses résolutions, quelles qu’elles fussent. D’autres fois, il faiblissait, et questionnait avec une certaine anxiété ses prisonniers. Il regrettait, disait-il, de n’avoir pas connu plus tôt les Anglais, car il avait été, dès son enfance, imbu de préjugés à leur égard qui avaient influé sur toute sa vie, et dont il reconnaissait maintenant l’injustice.

Des partis rivaux se disputaient la souveraineté dans la capitale depuis l’assassinat du shah Soudja. Le sirdar retourna donc sur Caboul, où sa présence était nécessaire. Il proposa à M. Eyre de partager le commandement de ses troupes et de l’aider à prendre Ca-