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bèrent exténués sur la route ; les six autres parvinrent jusqu’à un village où ils furent forcés de s’arrêter un instant pour prendre quelque nourriture. Mais les habitans se jetèrent tout à coup sur eux, deux furent mis en pièces, les quatre autres reprirent le galop ; à quatre milles de Jellalabad, trois d’entre eux furent atteints et massacrés, et de toute l’armée, un seul homme, le docteur Brydon, monté sur son petit pony, arriva à Jellalabad, et tomba, sans forces et presque sans vie, dans les bras de ses compatriotes.

Telle fut la fin de l’armée de Caboul. Cette armée formait le principal corps d’occupation ; mais les Anglais avaient aussi des garnisons dans les deux autres villes royales de l’Afghanistan, Candahar et Ghizni. Celle de Candahar, la plus éloignée, se maintint à son poste ; celle de Ghizni eut un sort presque aussi triste que celle de Caboul. Elle avait voulu marcher au secours du général Elphinstone ; mais, assiégée et affamée elle-même, elle avait dû ne plus songer qu’à se défendre. Les détails du siége et de la reddition de Ghizni ne se trouvent point dans le livre de M. Eyre ; nous emprunterons ceux qui vont suivre à une relation publiée par un des officiers de la garnison, le lieutenant Crawford.

Dès le milieu du mois de décembre, les Anglais et les cipayes avaient été obligés d’évacuer la ville et de se retrancher dans la citadelle. L’hiver était, comme à Caboul, de la plus grande rigueur ; en une nuit, il tombait deux pieds de neige, et le thermomètre descendait quelquefois à 12 et 14 degrés. Aussi les cipayes furent-ils bientôt hors de service, ayant les pieds et les mains ulcérés et décomposés par le froid. Néanmoins la garnison soutint le siége pendant trois mois, au bout desquels, n’ayant plus aucun espoir d’être secourue, et manquant de vivres, d’eau et de bois, elle capitula. Le colonel Palmer, qui la commandait, signa un traité aux termes duquel lui et ses hommes devaient être escortés en toute sûreté jusqu’à Peshawer, avec armes et bagages. Le 6 mars, les Anglais évacuèrent la citadelle et prirent leurs quartiers dans plusieurs maisons de la ville. Dès le lendemain, ils furent attaqués par surprise ; poursuivis d’étage en étage, puis de maison en maison, ceux qui survécurent se replièrent tous sur deux maisons occupées par le colonel Palmer et son état-major. Pendant deux jours, cet espace resserré présenta un affreux spectacle ; la faim et la soif sévissaient à l’envi, et les assiégés se disputaient des glaçons pour se désaltérer. On se prépara à mourir. « Les couleurs du régiment, dit le lieutenant Crawford, furent brûlées afin qu’elles ne tombassent pas entre les