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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

teau pour l’en détacher. « L’air même que nous respirions, dit M. Eyre, gelait en sortant de notre bouche et de nos narines, et chargeait de petits glaçons nos moustaches et nos barbes. »

Ce fut alors que le sirdar Mahomed-Akbar reparut sur la scène, et que les Anglais, déjà vaincus par la neige, eurent encore à combattre des ennemis non moins impitoyables. La conduite de Mahomed-Akbar, pendant la retraite, est souvent incompréhensible ; elle présente le plus singulier mélange de bonne foi et de perfidie, de générosité et de cruauté. Son but semble avoir été d’exterminer toute l’armée, en n’épargnant que les officiers et les femmes, qu’il se proposait de garder comme otages pour la rançon de sa famille. Il faut se souvenir aussi que les Afghans qui tenaient la campagne étaient, pour la plupart, de la tribu des Ghilzis, c’est-à-dire d’une tribu rivale de celle dont Mahomed-Akbar était un des chefs, et qu’il n’exerçait sur eux qu’une autorité très précaire. C’est pourquoi nous le voyons, pendant la retraite, lancer incessamment les Ghilzis comme une meute sur la masse des fuyards, et donner constamment pour excuse qu’il n’était pas maître de les retenir. Il se fait successivement livrer les officiers et les femmes, et abandonne le reste au couteau.

Quand les barbares commencèrent l’attaque, le capitaine Skinner se fit conduire auprès du chef barbare, qui lui dit qu’il avait été chargé de les escorter dans la montagne, mais qu’il réclamait six otages, comme garantie de la reddition de Jellalabad, qu’occupait le général Sale. Il fallut souscrire à ces conditions, et le feu cessa pour quelque temps. La nuit vint encore avec un redoublement de rigueur, avec la faim, le froid, l’épuisement, la mort. L’armée était alors arrivée à l’entrée des gorges du Kourd-Caboul ; en deux jours, elle n’avait encore fait que dix milles.

Le 8 janvier, des milliers d’hommes ne se relevèrent pas, et continuèrent dans la neige leur dernier sommeil. Dès le matin, les Afghans recommencèrent leur feu. L’avant-garde des Anglais dut s’ouvrir un passage à la baïonnette. Le capitaine Skinner alla de nouveau trouver Mahomed-Akbar ; le sirdar demanda encore pour otages le major Pottinger et les capitaines Lawrence et Mackenzie. Les trois officiers se livrèrent volontairement, et le feu cessa. Alors l’armée se remit en marche, et ici nous laissons parler M. Eyre :

« Une fois encore, dit-il, cette masse vivante d’hommes et d’animaux se mit en mouvement. Les rapides effets de désorganisation produits par deux nuits passées dans la gelée peuvent à peine se