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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

être inondés de relations du même genre. Nous sommes encore à nous demander comment il se fait que le docteur Brydon par exemple, le seul homme qui ait échappé au massacre ou à la captivité de ses compagnons et qui soit arrivé jusqu’au premier poste anglais, monté sur un misérable pony des montagnes, n’ait pas encore publié un journal de ses fabuleuses aventures. À coup sûr lady Sale, dont la conduite héroïque pendant toute la campagne, pendant la retraite, et pendant les longs jours d’épreuves qu’elle a passés au milieu des barbares, a excité l’admiration générale, ne peut manquer de raconter ses impressions de voyage ; mais, dans tous les cas, M. Eyre a pris les devans, et il a eu la primeur de la curiosité publique. Son journal mérite le succès qu’il a obtenu ; c’est une relation faite avec simplicité, souvent avec sentiment, de souffrances réelles qui égalent en intérêt toutes les aventures de romans. Ces notes ont été écrites super flumina Babylonis ; le narrateur était aussi un des acteurs dans ces scènes lamentables dont il nous a donné l’histoire ; et bien qu’une partie des faits que nous y trouverons racontés soient déjà connus, nous croyons cependant que de nouveaux détails, empruntés au premier récit fidèle et complet d’un témoin oculaire, ne seront pas sans quelque intérêt.

Il est toujours très aisé, nous le savons, de dire après les évènemens ce qui aurait dû être fait pour les prévenir ; mais, en faisant la part de cette sagesse posthume, on ne peut cependant s’empêcher de croire que les Anglais auraient pu éviter le désastre qui les a frappés dans le Caboul s’ils n’étaient allés eux-mêmes au-devant de leur ruine avec une incapacité et un aveuglement inconcevables. La facilité avec laquelle ils avaient envahi et conquis ce pays les avait complètement abusés ; ils croyaient pouvoir le garder avec aussi peu de peine qu’ils l’avaient pris, et ils s’étaient créé des illusions incompréhensibles sur la nature des sentimens que leur portaient les indigènes. Lord Keane, qui avait commandé l’expédition, s’était hâté d’aller jouir en Angleterre de sa gloire récente, et dans la chambre des lords de son nouveau titre. En quittant Caboul, il avait emmené avec lui une partie de ses troupes et avait ainsi réduit de moitié l’armée d’occupation, sans même prendre le soin d’établir une ligne de postes militaires pour assurer les communications avec l’Inde. Il était bien clair que pendant long-temps encore l’armée d’occupation devait être obligée de tirer de l’Inde toutes ses munitions ; la distance de Caboul à Ferozepore, la première station anglaise, était de si cents milles, et sur cette ligne se trouvaient le Punjab, sur lequel,