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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

tion, il ne sera pas distrait par mille sollicitations étrangères. Il saura qu’il a contracté avec son public des obligations saintes, qu’en retour de la sympathie qu’on a témoignée à son talent, on exige de lui plus d’attention et plus d’efforts sur lui-même. Les écrivains obtiennent d’autant plus de respect, qu’ils s’observent davantage et se prodiguent moins. Aussi bien, le mercantilisme introduit dans le domaine de la pensée est déjà parvenu à sa conclusion logique. De toute cette jeune et tumultueuse littérature qui entrait si brusquement sur la scène, il ne reste plus guère que peu de noms respectables et respectés ; tout le reste est mort ou mourant. Dans leur indolence ou leur vanité, ces hommes, épuisés par les succès de feuilleton, n’aperçoivent pas le mouvement littéraire qui grandit derrière eux. De l’excès du mal, nous espérons le remède. Nous pensons qu’une génération plus forte ou plus prudente, avertie par l’exemple de la génération qui l’a précédée, et qui n’a paru sur la scène littéraire que pour disparaître, sera convaincue qu’il faut porter son talent respectueusement, comme le jeune lévite porte les chandeliers de l’autel, sans l’exposer à tous les vents du dehors. Alors on se retournera vers les études sérieuses, laborieuses et lentes, qui consacrent seules les œuvres durables. Alors il y aura espoir de sauver la littérature, aujourd’hui déchue par suite des idées mercantiles, et avec sa science, avec le glorieux cosmopolitisme de sa poésie, de sa langue, la France reprendra dans l’Europe une place qu’aucune défaite politique ne saurait lui faire perdre.


F. de Lagenevais.