Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/670

Cette page a été validée par deux contributeurs.
664
REVUE DES DEUX MONDES.

une velléité vague de faire la satire de toutes ces choses à la fois, mais sans que le lecteur le plus clairvoyant puisse en avoir personnellement la certitude. L’absence de plan, qui n’est pas toujours la fantaisie, l’espèce de cohue et de quiproquo perpétuel entre les auteurs et leurs personnages, déroute à chaque instant l’esprit du lecteur. La moralité ou, comme l’on voudra, la conclusion du livre, est demeurée dans les limbes. Et cependant, par une sorte d’unanimité miraculeuse dont le secret n’échappe pas à l’éditeur, tous les journaux ont fait l’éloge de cet ouvrage, toutes les réclames qui se déguisent sous forme de critique lui ont valu une grande popularité et un grand succès de vente. Serait-ce donc qu’il y aurait une solidarité latente entre la littérature des pittoresques et celle des feuilletons ?

Pas plus que les Animaux, les Français peints par eux-mêmes ne peuvent prétendre à un mérite d’observation ou de forme. Pour ce dernier ouvrage, qui a failli devenir aussi volumineux qu’une encyclopédie, on avait convoqué le ban et l’arrière-ban de la littérature. On y retrouvait bien encore ce don d’ubiquité de M. de Balzac et de quelques autres écrivains universels, qui à toute publication donnent au moins leur signature ; mais, à côté de ces plumes infatigables, toute cette menue littérature à laquelle les petits journaux servent ordinairement de dépôt de mendicité, avait trouvé dans les volumes des Français peints par eux-mêmes un type, une profession à exploiter, qui le poète, qui le gendarme, qui l’invalide, qui le portier, chacun selon ses goûts et sa connaissance de la matière. Il y avait là assurance tacite d’indulgence mutuelle ; on y apportait cet esprit courant, très bonhomme au fond, qui s’est évaporé plus tard en physiologies et en imperceptibles publications de poche.

Tous ces ouvrages, qui ne sont que des thèmes pour les gravures n’ont qu’une durée temporaire ; ils vivent, ils passent, ils meurent. On en est quitte pour les avoir vus ou pour les avoir oubliés ; ils n’exercent d’influence qu’individuellement sur l’écrivain qui se résigne à s’effacer devant le graveur. La littérature pittoresque ne sert donc ni le peintre, qui a cependant ici le rôle du musicien à l’Opéra, ni le littérateur, qui descend au rôle de faiseur de libretti ; elle ne fait que diminuer le talent. Mais il est une autre nature de publications dont la perpétuité, la périodicité, entraînent avec elles de graves inconvéniens pour l’éducation de l’intelligence par les livres. Comme la gravure sur bois et celle à la mécanique, comme toutes les innovations qui tendent à séduire l’acheteur par le bon marché, les magasins pittoresques sont nés en Angleterre,