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car ces madones champêtres sont compatissantes aux prières du pauvre, et dans les longues veillées d’hiver, quand la résine brûle dans le foyer et jette en tressaillant des clartés errantes sur les murailles, ces images rappellent à l’indigent, au milieu de l’abandon du monde, une idée d’assistance divine.

C’est donc aux basses classes de la société qu’il faut abandonner le luxe indigent de l’image. Elles seules en comprennent, en aiment la naïve éloquence. C’est pour elles une parole qui s’adresse à leurs yeux et qui impressionne vivement leur ame. Nous ne sommes pas iconoclastes ; nous reconnaissons volontiers avec le catholicisme qu’il faut des représentations figurées aux populations primitives.

Mais autre chose sont les gravures, les lithographies isolément prises, qui ne réclament qu’un cadre et une place à la muraille ; autre chose celles que l’on impose si facilement, si largement à toutes les œuvres de la littérature. Vainement on se demande quel intérêt nouveau peut ajouter l’illustration aux bons livres. Molière a été illustré, Lesage a été illustré ; Homère a été appauvri de gravures, le Tasse n’y a pas plus échappé que pendant sa vie à tous les autres malheurs ; le grave Bossuet s’est vu bariolé d’arabesques sur toutes les marges. Nous le demandons de bonne foi, aura-t-on mieux lu ces immortels écrivains dans leurs éditions illustrées ? Y comprend-on mieux leur poésie, leurs idées ? Bien au contraire. La gravure n’a donc qu’un but, celui de rendre les ouvrages littéraires plus coûteux, d’assimiler des livres à des œuvres de luxe, à des curiosités banales, de leur donner rang parmi les coquillages transatlantiques et les vases de Chine. Or, nous ne croyons pas que les livres soient faits uniquement pour être dorés sur tranche, reliés en maroquin et relégués ensuite sur des tablettes.

Non-seulement la gravure n’ajoute aucun charme aux œuvres écrites, mais encore elle leur en ôte presque toujours. Il y a une impression particulière dans le vague de la peinture par la parole. Par cela même que rien n’est précisé, que l’esprit du lecteur est continuellement obligé d’en appeler à ses réminiscences et à ses émotions personnelles, d’interpréter en quelque sorte l’idée du poète, il arrive que chacun croit retrouver dans sa lecture ce qu’il a éprouvé lui-même et qu’il pourrait y revendiquer sa part de poésie ; car il ne faut pas oublier que le poète complet est non-seulement un homme, mais encore une foule, qu’il est la personnification sympathique des sentimens existans à la fois en lui et autour de lui. Il dit ce que