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LA RUSSIE.

que tous les autres religieux, ne prenait que la nourriture la plus chétive, et ne portait que le plus mauvais vêtement. Il soutenait par son exemple leur courage, qui, de temps à autre, vacillait, et relevait leur piété par ses exhortations. Une fois la communauté se trouva dans un état de disette effrayant ; elle n’avait plus ni pain, ni grain, et n’avait pris depuis deux jours aucun aliment. Serge se mit en prières, et le lendemain un inconnu lui envoya d’abondantes provisions. Une autre fois la communauté se plaignit de l’éloignement d’un ruisseau dont l’eau servait aux besoins du monastère ; Serge s’en alla dans la forêt, trouva au pied d’un arbre un peu d’eau de pluie, la bénit, et il en jaillit une source féconde, la même que l’on voit encore aujourd’hui. Quelque temps après, il ressuscita un enfant par ses prières, il guérit un boyard de ses accès de rage. Alors il devint célèbre au loin et fut invoqué de toutes parts. Les pélerinages commencèrent ; les dons affluaient dans la pauvre communauté. La forêt, jusque-là si déserte et si sauvage, fut percée de côté et d’autre, traversée par des grandes routes, et des villages s’élevèrent autour des cellules. Une nuit que Serge était en prières, il entendit une voix qui l’appelait par son nom ; il ouvrit la fenêtre, aperçut au ciel une lueur extraordinaire, et devant lui une grande quantité d’oiseaux ; la voix mystérieuse lui dit : — Serge, Dieu a exaucé les prières que tu lui adresses pour tes frères ; le nombre de tes disciples égalera celui de ces oiseaux. — Peu à peu la communauté, agrandie, enrichie, s’organisa selon les règles des couvens, d’après les avis du patriarche de Constantinople. Déjà elle donnait l’hospitalité aux pèlerins, et distribuait aux pauvres le superflu des offrandes qu’elle recevait de toutes parts, quand tout à coup la guerre éclata ; les Tartares, conduits par un chef redoutable, envahirent la Russie. Le grand-duc Dmitri Ivanovitsch consulta Serge sur ce qu’il devait faire. L’homme de Dieu, après s’être mis en prières, lui dit de prendre avec confiance le commandement de ses troupes, et de marcher au-devant de ses ennemis. Pendant que la bataille s’engageait entre l’armée du grand-duc et les hordes tartares, Serge priait comme Moïse sur la montagne. Le duc remporta une victoire éclatante, et pour témoigner sa reconnaissance à Serge, à qui il attribuait le succès de ses armes, il dota de plusieurs domaines le couvent de Troïtza.

La vie du saint fut signalée par une foule d’autres miracles ; mais nous ne suivrons pas plus loin la légende, légende déjà bien longue, qui nous a paru cependant offrir quelque intérêt comme expression des croyances pieuses de tout un peuple, comme tableau fidèle de la fondation et des progrès d’une grande institution. Saint Serge mourut en 1391, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Après sa mort commence une autre légende, celle du couvent qu’il a fondé. Celle-ci se continue, d’année en année, avec le même mélange de réalité et de merveilleux. Les Russes croient à la toute puissante efficacité des reliques de saint Serge, ils regardent son couvent comme un asile assuré contre tous les fléaux, et le prouvent tantôt par des faits authentiques, tantôt par de naïves traditions. L’ancienne et la nouvelle chronique de Troïtza forment à présent toute une histoire populaire qui se détache parfois sur l’histoire gé-