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VAILLANCE.

siasme des décrets de la Providence, Jean surtout qui, n’ayant jamais connu le petit Hubert, se souciait assez médiocrement de la résurrection de ce nouveau Moïse.

— Ah ça ! dit-il le soir à Christophe en le prenant à part, es-tu sûr que ce soit le petit Hubert ? Tout ceci me semble, à moi, un peu bien romanesque et passablement fabuleux.

— Il n’y a pas à douter, répondit Christophe en branlant la tête. J’ai reconnu sur son bras gauche l’image du brick la Vaillance que je dessinai moi-même en traits de poudre sur le bras de notre jeune frère.

— C’est égal, dit Jean, il faut convenir que voici un gaillard bien heureux. Nous lui avons élevé sa femme à la brochette. Il faut convenir aussi que notre père a eu de jolies idées pendant mon absence.

— Que veux-tu ? répliqua Christophe ; tu le disais toi-même, tôt ou tard il aurait fallu en passer par là. Mieux vaut donc Hubert que tout autre. Ça ne sortira pas de la famille. Jeanne portera notre nom et perpétuera la race des Legoff.

— C’est vrai, répondit Jean, qui ne put s’empêcher de se rendre à ces raisons ; mais toujours est-il que le drôle n’est point à plaindre. Une nièce, une femme, un million de dot, une famille agréable, un nom glorieux dans les fastes de l’armée et de la marine, tout cela pour une frégate perdue ! Les naufrages lui ont réussi. Il avait la vie dure, le petit. Mais, mille tonnerres ! ajouta-t-il avec humeur, ce cagot de Joseph avait bien besoin d’attacher un grelot au col de ce morveux d’Hubert !

— Allons, allons ! maître Jean, dit Christophe ; au bout du compte, lorsque vous êtes revenu sans souliers du fond de la Russie, vous n’avez pas été fâché de trouver votre chaumière changée en château et un million pour oreiller.

— Oui, répondit Jean ; mais, moi, je n’épouserai point ma nièce.

— Je le crois pardieu bien ! s’écria Christophe ; il ne manquerait plus que cela.

Empressons-nous d’ajouter que, passé ce premier mouvement de jalousie et d’égoïsme, ils acceptèrent franchement leur rôle, et remercièrent la destinée de leur avoir envoyé pour Jeanne le seul époux qui pût satisfaire à toutes leurs exigences. Quant à Joseph, il chantait les louanges du Seigneur, et ne se lassait point de contempler les deux jeunes têtes qu’il avait tant de fois baisées l’une et l’autre au berceau.

Le bonheur et l’amour sont de grands médecins. Au bout d’une