Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/604

Cette page a été validée par deux contributeurs.
598
REVUE DES DEUX MONDES.

peine de paraître indiscrète, Jeanne avait dû se résigner à ne rien savoir de cette vie qu’elle n’aurait voulu connaître que pour en consoler les douleurs.

Un jour, tous deux étaient assis, ainsi que nous venons de le dire, sur le sable d’une de ces petites anses naturelles que les flots ont creusées dans le flanc des rochers qui bordent le rivage. On touchait au printemps ; avril venait de naître. De petites fleurs blanches et roses, épanouies çà et là dans les anfractuosités du roc, se réjouissaient sous les chauds baisers du soleil. Les oiseaux chantaient dans les landes ; la terre rajeunie mêlait ses doux parfums aux âpres senteurs de la mer. Jeanne et sir George avaient subi à leur insu ces influences amollissantes. La jeune fille était rêveuse, George silencieux et troublé. Ils avaient essayé de lire, mais le livre s’étant échappé de leurs mains, ni lui ni elle n’avait songé à le reprendre. Ils étaient si près l’un de l’autre, que parfois les cheveux de l’enfant, que lutinait la folle brise, effleuraient le visage du jeune homme enivré. Ils se taisaient ; les flots jetaient à leurs pieds leurs franges d’argent ; l’Océan les berçait de son éternelle harmonie ; le soleil les inondait d’or et de lumière. Ce qui devait arriver arriva. Depuis long-temps attirées, leurs ames se confondirent. Sans y songer, Jeanne appuya son front sur l’épaule de George ; leurs mains se rencontrèrent, et long-temps ils restèrent ainsi, muets, immobiles, abîmés et perdus dans le sentiment de leur bonheur.

À quelques pas de là, debout sur la grève, Joseph les contemplait d’un air souffrant et d’un œil jaloux. Ils étaient là tous deux, si jeunes, si charmans, pareils à deux printemps en fleur ! On eût dit que le soleil les regardait avec amour, que la brise était heureuse de les caresser, et que les champs, la mer et toute la nature étaient complices de leurs félicités. À ce tableau, Joseph sentit son cœur qui s’éteignait dans sa poitrine. Il cacha son visage entre ses mains, et le pauvre garçon pleura.

Cependant le soleil commençait à descendre vers l’horizon. Jeanne et sir George se levèrent et reprirent le chemin du Coät-d’Or. Ils n’avaient point échangé une parole ; c’est à peine si leurs regards s’étaient rencontrés, mais ils s’étaient compris l’un l’autre. Ils revinrent à pas lents, silencieux, écoutant le langage muet de leurs ames. Tous deux rayonnaient d’une vie nouvelle ; mais tout à coup, à l’insu de Jeanne, le cœur de sir George se serra, et son front se chargea de nuages.

Lorsqu’il entra dans le salon, Joseph était si pâle et si défait, que