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VAILLANCE.

simplement l’histoire, tandis que Joseph, rouge comme un coquelicot et les yeux baissés, ne savait à quel saint se vouer. Jérôme s’exprima comme un franc marin qu’il était. Mlle Rosancoët mêlait à ses idées religieuses des instincts d’abnégation et de dévouement. Elle avait entendu parler des Legoff en général, de Joseph en particulier. L’étrangeté de la proposition ne l’effaroucha point ; il faut dire aussi que le curé de Bignic, que Joseph avait consulté en ceci comme en toutes choses, s’était déjà mêlé de cette affaire, et qu’il avait eu, quelques jours auparavant, un long entretien à ce sujet avec la plus pieuse et la plus docile de ses ouailles. Bref, Mlle Maxime Rosancoët, après avoir entendu Jérôme, tendit à Joseph sa main et consentit à quitter sa ferme pour aller vivre au Coät-d’Or. On prit jour, séance tenante, pour la signature du contrat, et Joseph, en se retirant, osa baiser le bout des doigts de sa fiancée.

Chemin faisant, tandis que Jean prodiguait à Joseph des encouragemens et des consolations :

— Comment la trouves-tu ? dit Jérôme à Christophe.

— Et toi ? demanda Christophe à Jérôme.

— Point jeune, sacrebleu !

— Point belle, mille tonnerres !

— C’est une vieille frégate désemparée, dit l’un.

— Un vieux brick échoué sur les rivages de l’éternité, dit l’autre.

— Il a fait là un joli choix, notre ami !

— Que le diable l’emporte ! s’écria Christophe. Je parierais que cette péronnelle va nous faire damner au logis.

Ainsi causant, ils arrivèrent au Coät-d’Or. On s’occupa sans plus tarder de tout disposer pour recevoir dignement la reine de céans. On fit blanchir les murs à la chaux, poser des vitres aux fenêtres et des carreaux où le parquet manquait. Le premier tailleur et le premier bijoutier de Saint-Brieuc furent appelés : on commanda les habits de noces, et Joseph choisit pour sa future une magnifique parure de perles fines. Il s’efforçait de faire bonne contenance ; mais plus l’heure fatale approchait, plus le jeune Legoff devenait mélancolique et sombre. Il négligeait ses livres, son violoncelle et jusqu’à ses pieux exercices, pour aller seul errer sur la grève, le front baissé, les yeux mouillés de larmes.

Cependant le jour de la signature du contrat arriva. Dès le matin, Jean, Christophe et Jérôme étaient sur pied, vêtus chacun d’un superbe habit noir, et le cou emprisonné dans l’empois d’une cravate blanche. Tous trois avaient un air passablement railleur et gogue-