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REVUE. — CHRONIQUE.

Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux,
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.

Ces vers divins, que depuis long-temps cependant nous nous répétions sans en être émus, accoutumés que nous étions à leur douceur enchanteresse, Rachel les a dits avec tant de grace et de puissance, qu’une odeur nouvelle et charmante s’en est exhalée ; nous sentions qu’ils refleurissaient. Et à cet endroit où Phèdre s’écrie, après l’éloquent tableau de ses crimes :

Misérable ! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue,

la tragédienne a été si belle, qu’il a passé sur la salle tout entière un de ces souffles mystérieux qui tirent des grandes assemblées les murmures que les vents font sortir des vagues.

Au cinquième acte, sans manteau, sans diadème, entourée de longs voiles blancs qui laissent découverts les noirs bandeaux dont son front pâle est encadré, elle a produit sur les cœurs une impression religieuse. Elle est morte sans convulsion, à la façon dont se dessèche et meurt une fleur des rives de l’Ylyssus. Malgré les Euménides dont sont peuplés leurs enfers et la lumière heureuse qui circule sous les ombrages de leur Élysée, les anciens ne placent d’habitude aux portes de la mort ni terreurs désespérées, ni joies triomphantes. En ce moment, on dirait que le fond réel de leur religion, c’est-à-dire la croyance dans un repos éternel au sein de la nature, leur apparaît d’une façon visible sous toutes les allégories dont eux-mêmes s’étaient plu à le cacher. Qu’existe-t-il de plus horrible pour une imagination chrétienne que la récompense dont Jupiter honore la vertu de Philémon et de Baucis : sentir sa vie passer lentement dans le tronc et les branches d’un arbre ? Cette fin, dont la plupart d’entre nous ont peine à supporter l’idée, est le type de la mort chez les païens. Ces deux admirables vers :

J’ai voulu devant vous, exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts,

expriment on ne peut mieux la façon dont Phèdre doit mourir. Apaisée par les aveux expiatoires qu’elle fait à son époux, elle descend d’un pas calme les sentiers silencieux, pleins d’une ombre croissante, qui conduisent aux lieux où l’on ne sent plus battre son cœur. Je crois qu’on aurait tort de prendre pour un sentiment entièrement étranger aux croyances antiques ce besoin de réconciliation avec la vérité et la vertu éprouvé devant le trépas. Si la Phèdre d’Euripide ne l’a pas ressenti, c’est à un caprice du poète qu’il faut s’en prendre, non pas à une inspiration farouche de sa religion ; car, dans la tragédie grecque, Thésée, par un mouvement en rapport inverse, mais tout-à-fait exact, avec celui de Racine, supplie son fils mourant de calmer ses remords en prononçant sur lui des paroles de bénédiction. Le