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puis long-temps. Il n’est pas besoin de lui rappeler que les traités de 1831 et 1833 ont été attaqués, entre autres, par M. Ségur de Larmoignon et M. le duc de Noailles avec une mesure et une prudence qui n’ôtaient rien à la vigueur du raisonnement et à la franchise des opinions. Aussi les deux discours avaient-ils produit une forte impression sur la chambre, et, malgré la parole toujours habile de M. Guizot, le résultat du scrutin était encore on ne peut pas plus incertain. M. de Broglie a mis dans la balance le poids de sa parole et de son autorité. Son discours restera dans nos annales parlementaires comme la preuve de tout ce qu’un caractère noble et pur peut ajouter de puissance et d’éclat à un grand talent.

On assure que M. de Broglie a enlevé beaucoup de suffrages à l’amendement proposé, qui cependant en a encore réuni 67 sur 185 votans. C’est un fait qui honore à la fois l’orateur et la chambre ; l’orateur qui agit sur ses collègues non-seulement par le talent, mais par la loyauté et l’autorité morale de son caractère ; la chambre, qui n’apporte pas dans les débats de préoccupations invincibles et qui n’a point de parti pris. C’est là ce qui la distingue essentiellement. Composée en grande partie d’hommes qui ont l’intelligence de la politique sans en éprouver les passions, qui ne cherchent plus rien pour eux-mêmes et n’aspirent qu’à terminer avec dignité et sans reproche, dans une glorieuse retraite ou sur les hauts siéges de la magistrature, ou dans les nobles loisirs de la vie privée, une carrière honorable, la chambre des pairs ne saurait être confondue avec ces assemblées politiques qu’agite la lutte des partis, et dont toute grande discussion est un combat entre les hommes qui aspirent au pouvoir et ceux qui l’occupent. C’est là le lot des assemblées populaires, et il est bon qu’elles puissent librement se développer selon les lois de leur nature ; il est bon qu’une arène légale soit ouverte à ces combats ; mais il est bon aussi, il est nécessaire qu’à côté de ce bruyant théâtre où se préparent les péripéties de la politique du jour, et s’accomplissent les catastrophes ministérielles, une enceinte soit ouverte aux intelligences sans passion, à l’expérience désintéressée, à l’impassible raison d’état. C’est le sénat à côté du forum. Si l’un est indispensable à la vie politique du pays, l’autre ne l’est pas moins au développement régulier et au maintien de la puissance nationale. Celui qui imaginerait de faire de la chambre des pairs une chambre des députés au petit pied, ne ferait qu’une chose ridicule en soi et funeste au pays par ses résultats. Les luttes personnelles appartiennent au Palais-Bourbon ; il ne doit y avoir au Luxembourg que des discussions d’affaires, mais des discussions profondes, dignes, fermes ; le pays ne demande pas à la chambre des pairs des impulsions, mais des lumières, de l’expérience, de l’autorité morale et au besoin une salutaire résistance.

Il en est des personnes collectives comme de l’individu. Pour les états aussi, la perfection consiste dans l’équilibre des facultés. Les deux chambres ne représentent pas, ne doivent pas représenter la même faculté de l’esprit humain.

C’est à la chambre élective que s’agite dans ce moment la question du droit