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siam giunti al lido alfin respira il cor ! qu’elle disait d’un air de joie, presque de triomphe, la salle entière éclatait en bravos. Ah ! tempi passati !

Au théâtre Favart, MM. Scribe et Auber obtiennent cette année encore, avec la Part du Diable, un de ces succès qui font date. C’est, à vrai dire, toujours un peu la même pièce et la même musique ; les procédés et les combinaisons, tant du côté du poète que du côté du maestro ne changent pas. Il s’agit toujours, pour M. Scribe, de placer son héros dans une situation impossible, et de l’en tirer, au moment où vous vous y attendez le moins, par toute sorte de précieuses ficelles qui font mouvoir ses personnages à la manière des marionnettes. M. Auber, lui non plus, ne varie guère ; c’est toujours le même motif élégamment tourné, la même distinction dans les nuances d’orchestre, en un mot cette touche habile qui survit aux temps de l’inspiration, et se retrouve jusqu’à la fin chez les artistes supérieurs. Qu’importent, après tout, les redites d’un homme d’esprit, puisqu’on les aime et que le public ne se lasse pas de s’en amuser ? Ce qu’il y a de certain, c’est que tous les ans, à époque fixe, le public attend à l’Opéra-Comique son petit chef-d’œuvre de Scribe et d’Auber, et serait fort désappointé si le petit chef-d’œuvre n’arrivait pas. Cette fois, du moins, le personnage principal pourrait, au besoin, réclamer certaines origines poétiques. En effet, si l’on veut y regarder de bien près, on découvrira je ne sais quelles mystérieuses et lointaines ressemblances entre le Carlo Broschi de l’Opéra-Comique et l’une des plus ravissantes créations sorties du cerveau de Goethe. Cet enfant italien, dont l’auteur a soin de taire le sexe, qui traverse la pièce sans amour dans le cœur, une chanson sur les lèvres, cet enfant italien, si dépaysé qu’il soit, au milieu des prosaïques combinaisons de la plus bourgeoise des pièces de théâtre, ne rappelle-t-il pas de loin l’idéale figure de Mignon ? Peut-être serions-nous mieux que tout autre en mesure d’expliquer le secret de cette parenté, et, s’il nous est permis, nous donnerons notre version, mais sans que cela tire à conséquence et toujours à condition qu’on ne verra dans nos paroles que la plus vague des conjectures. Un soir donc que nous causions avec Meyerbeer de chose et d’autre, de musique, de poésie surtout, nous vînmes à parler longuement de Wilhelm Meister. — Quel type musical un maître tel que vous ferait de Mignon ! lui dis-je après maintes réflexions plus ou moins esthétiques sur l’intrigue singulière et la splendide prose de ce roman assez médiocrement compris en France. — Oui, répondit-il, c’est là une idée, j’y penserai. Mignon ! une blonde et souffrante créature qu’il faudrait envelopper d’ombres mélodieuses ! je ne lui donnerais à chanter que des lieds, et je voudrais l’action combinée de telle sorte, que chacun de ces lieds amenât une péripétie, un coup de théâtre. Ah ! comme il y a quinze ans la Devrient aurait senti un pareil rôle ! Mme Thillon serait bien en garçon, reste à savoir si elle comprendrait. N’importe ; nous ferons Wilhelm Meister. Il est écrit que je m’inspirerai tôt ou tard d’un poème de Goethe ; vous savez qu’il m’a désigné, avant que j’eusse composé Robert, comme le seul capable de mettre son Faust en