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à souffrir d’un exil de quelques années, y prennent comme un nouveau regain de vie et de jeunesse ; le temps, au lieu de les détruire, les consacre, et, quand elles reparaissent dans leur gloire, on se sent tout confus du présent, il y a en elles tant de mâle inspiration, tant de sève féconde et généreuse, ce luxe d’imagination qui sème les trésors à pleines mains et semble ne jamais compter vous étonne et vous charme tant, aujourd’hui qu’on est accoutumé à voir la plus chétive dose, le moindre grain d’esprit, étendu par beaucoup de savoir-faire, suffire seul aux conditions d’une œuvre. Mais peut-être aurait-on dû calculer davantage les chances de l’exécution. La Gazza partage avec quelques opéras de Mozart et de Rossini le privilége d’émouvoir les plus beaux souvenirs du Théâtre-Italien ; or, rien n’est dangereux pour une reprise comme un semblable privilége, et les souvenirs dont nous parlons devaient se réveiller cette fois d’autant plus vifs, qu’on voyait figurer dans certains rôles principaux des chanteurs qui jadis eurent aussi leur bonne part de ces ensembles mémorables où concouraient David et la Malibran. En dix ans, le temps marche, et la voix de Lablache elle-même n’a pu se garder contre cette loi commune qui fait que l’airain le plus robuste s’altère et que les plus lourdes cloches se fêlent. La partie musicale du podesta n’a jamais convenu que médiocrement aux moyens de Lablache ; déjà, il y a dix ans, ce rôle, écrit dans les notes agiles du baryton, où Pellegrini excellait, offrait peu d’avantages au sublime buffo qui se tirait d’affaire par son jeu et sa pantomime vraiment admirables. Chez les acteurs de la trempe de Lablache, il y a une faculté qui survit à la voix et peut même grandir encore lorsque celle-ci diminue, c’est l’observation, l’esprit et la force comique ; il suit de là que Lablache compose et rend aujourd’hui la physionomie du rôle avec une intelligence toute supérieure, et met dans chacun de ses gestes, jusque dans ses moindres lazzis, une finesse, un tact, une expérience à toute épreuve ; pantomime, expression des traits, costume, rien ne manque. On ne saurait voir une physionomie plus vivante ; c’est la cruauté stupide aux ordres de la convoitise brutale, la luxure d’un Tartuffe sous une si drolatique enveloppe, qu’elle sauve par le grotesque ce que le personnage ainsi compris pourrait avoir de trop risqué. Malheureusement, si Lablache joue ce rôle comme personne, on peut le dire, ne l’a joué, il faut bien avouer aussi qu’il ne le chante plus. L’a-t-il chanté jamais ? Il est impossible aujourd’hui de ne pas remarquer son insuffisance dans certains morceaux ; je citerai en première ligne la cavatine avec chœurs de la prison, où les roulades telles qu’il les avait simplifiées autrefois lui sont devenues impraticables. D’ordinaire, Lablache n’a jamais plus d’esprit que lorsqu’il sent que sa voix l’abandonne. Le chanteur en péril appelle à son aide le comédien, qui n’a garde de le laisser en défaut et le tire d’embarras par toute sorte d’amusantes bouffonneries. S’agit-il d’un trait d’agilité qui manque ? Lablache se met à chercher ses lunettes ; d’une note qui s’obstine à ne pas vouloir sortir ? vous le voyez enfler ses joues, secouer sa perruque, recoquiller ses yeux en une effroyable grimace à désarmer la critique, s’il pouvait y avoir une critique pour Lablache. Tamburini, lui aussi, a perdu