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peuple est fatigué des prétendus progressistes, il se tourne de lui-même vers les hommes sages, éclairés, vraiment libéraux. Dans la presse, le même symptôme se reproduit ; presque tous les journaux qui étaient autrefois contre les modérés inclinent maintenant de leur côté. Un besoin d’ordre, de légalité, d’organisation, se manifeste généralement, comme il arrive d’habitude après les grandes convulsions politiques. Espartero lui-même a travaillé pour les modérés ; il s’est chargé de détruire ce qui restait des anciens germes révolutionnaires ; fils de l’anarchie, il tue l’anarchie. Les républicains de Barcelone, qui l’ont fait ce qu’il est, se souviendront long-temps de la récompense qu’ils en ont reçue. Grande leçon pour les peuples qui apprendront peut-être enfin, par cette nouvelle expérience, ce qu’on gagne à servir l’ambition d’un soldat.

Ce n’est pas la première fois que ce retour de l’Espagne aux idées raisonnables s’accomplit de lui-même. Pendant la régence de la reine Christine, on a vu exactement la même réaction suivre la révolution de la Granja. Quand les exaltés se furent emparés du pouvoir par un coup de main, et eurent proclamé la constitution de 1812, les élections, faites en vertu de cette constitution même, donnèrent une majorité modérée. Il a toujours fallu employer la force pour enlever aux modérés l’ascendant que leur donnait l’opinion. Ils ont compris cette fois qu’il fallait user avec ménagement du nouveau progrès qui leur arrive ; il faut les en féliciter. Ils peuvent sans danger faire quelques concessions aux hommes les moins exigeans du parti exalté. Au fond, rien ne les divise plus aujourd’hui que les souvenirs.

Cette conduite vraiment politique du parti modéré semble porter ses fruits. Le gros du parti progressiste vient de publier à son tour son manifeste : c’est une condamnation fort nette du gouvernement, une sorte d’acte d’accusation contre les ministres. Ainsi les deux grands partis sont de nouveau d’accord. Il n’y a plus de doute que sur la position que prendra M. Olozaga. De son côté, la coalition de la presse est restée entière. Le gouvernement a fait de grands efforts pour provoquer une démonstration de la milice nationale de Madrid contre la presse ; il a échoué. S’il veut frapper les journaux, il faudra qu’il se passe de prétexte. Le journal religieux le Catholique est même entré dans la lice et a invité les électeurs catholiques à voter contre ceux qui ont rompu les rapports de l’Espagne avec le saint-siége. Le mouvement commence à se répandre dans les provinces. Deux députations provinciales, celles de Sarragosse et de Burgos, ont publié des circulaires fort explicites dans le sens des partis coalisés. Si les choses se maintiennent comme elles sont, il n’est pas impossible que les élections donnent un résultat unanime d’opposition

Il résulte de tout ceci que le gouvernement représentatif entre de plus en plus dans les mœurs de l’Espagne. Les Espagnols ont moins de tendance à recourir à la force pour faire triompher leurs idées ; ils sont las de la guerre civile, et n’en veulent plus. La résistance légale, la discussion libre, le vote