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de la constitution ; au milieu de leurs maisons ruinées, sous le feu toujours prêt de la citadelle et du fort Montjuich, les Barcelonais n’ont pas encore payé. Les élections municipales ont eu lieu le lendemain du bombardement ; elles ont donné, malgré l’absence de la moitié la plus compromise de la population, une municipalité tellement hostile, qu’il a fallu la casser. L’autorité militaire avait fait arrêter un des habitans les plus notables de la ville par ce seul motif que les suffrages des électeurs se portaient sur lui ; après l’avoir conduit enchaîné à la citadelle, on l’a relâché. Les journaux de Barcelone, un moment contenus, reprennent peu à peu leur assurance, et il en est un, le Constitucional, autrefois défenseur enthousiaste du régent, qui ne cache plus l’amertume de sa déception. Enfin, on parle d’une nouvelle feuille qui serait sur le point de paraître et qui s’appellerait la Bombe. Les Catalans ont ramassé dans leurs rues en feu un des projectiles destructeurs et veulent le lancer à la tête de ceux qui le leur ont envoyé : échange terrible de la part d’un peuple !

À Madrid, l’attitude publique a été plus significative encore s’il est possible. Il n’y a pas eu de révolte, car encore un coup, dans l’état actuel de l’Espagne, une révolte n’aurait pas de but ; mais, le soulèvement excepté, aucun témoignage de répulsion n’a été épargné au gouvernement. Quand le régent est parti pour Barcelone, les cortès l’ont solennellement invité, par un vote formel, à ne rien faire qui portât atteinte à la constitution de l’état. Espartero s’est vivement irrité de cette marque de défiance ; il a répondu qu’il n’avait donné à personne le droit de le soupçonner d’un manque de foi. Quelques jours après cependant, Barcelone était mis, non pas en état de siége, le mot n’a pas été prononcé, mais dans un état exceptionnel, c’est le terme du décret. Les arrestations en masse, les condamnations à mort sans publicité, l’imposition de la contribution de guerre, toutes ces mesures illégales et inconstitutionnelles, n’ont été que des conséquences de cet état exceptionnel. Exceptionnel est fort bon ; et que demandaient donc les représentans du pays quand ils rappelaient la constitution au soldat irrité qui menaçait Barcelone, si ce n’est que le châtiment infligé à la ville rebelle n’eût rien qui fît exception aux lois ?

Aussi quand on a appris à Madrid comment le régent avait tenu sa promesse, le mouvement d’indignation a-t-il été universel. Il était impossible de se démentir plus vite et plus ouvertement. On a vu quelle lettre vigoureuse a été adressée à Espartero par les députés catalans pour demander le renvoi immédiat des ministres qui avaient conseillé ces violences. Un acte d’accusation contre le ministère a été en outre préparé par les mêmes députés et devait être déposé sur le bureau des cortès dès leur première séance. À cette explosion dans les chambres a répondu une explosion encore plus retentissante dans la presse. Espartero, étonné, est revenu à Madrid le plus tard qu’il a pu. Il y a fait son entrée le 1er janvier, au milieu d’un silence glacial. Soit fatigue, soit chagrin, il s’est mis au lit en arrivant, et a eu une violente attaque de son mal de vessie ; puis, après quelques jours d’hésitations