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LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

la riche rue des Orfèvres. Il semble que ce cri farouche soit la devise que le gouvernement espagnol ait adoptée à l’égard de cette belle et triste province. On aurait réellement pris à tâche de ruiner la Catalogne, de la dépeupler, de l’effacer en quelque sorte de la carte de l’Espagne, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Toutes ces barbaries sont d’autant plus coupables, qu’elles sont inutiles. Le bombardement de Barcelone n’a pas atteint son but. La terreur a régné sans doute quelque temps dans la ville déserte et dévastée, mais là même elle n’a pas duré, et il ne paraît pas que le reste de l’Espagne ait eu peur un seul moment. Ce n’est pas seulement la crainte qu’inspire l’invincible duc qui a empêché l’insurrection de se propager ; c’est l’absence de drapeau. Pourquoi s’insurgerait-on maintenant en Espagne ? Pour la république ? personne n’en veut ; pour la reine Christine ? son retour est impossible ; pour don Carlos ? il est abandonné de tous ; pour la reine Isabelle ? elle n’est pas majeure ; pour l’infant don François ? on redoute avec raison l’ambition de l’infante sa femme. Le mouvement de Barcelone n’était qu’un accident, une émotion sans but. L’attitude des vainqueurs l’a bien prouvé le lendemain même de leur victoire. À Valence, il y a eu aussi un soulèvement dans le premier moment, mais, après quelques heures, l’ordre s’est rétabli de lui-même. L’insurrection victorieuse n’avait que faire de son succès.

Voilà ce qui a mis fin à la révolte de Barcelone et prévenu des révoltes nouvelles autant au moins que les bombes du fort Montjuich et les bandos sanguinaires des généraux vainqueurs. Même sous les bombes, les corps francs auraient résisté s’ils avaient eu une cause à défendre. Espartero a pu voir par lui-même qu’il n’intimidait qu’à demi ; autour de son quartier-général de Sarria, la Catalogne entière s’est soulevée au bruit de l’exécution de Barcelone ; il a pu entendre le tocsin sonner partout à somaten, comme dans les temps les plus agités des levées en masse catalanes. Tant qu’il est resté dans le pays, il n’a pas cessé un seul instant de prendre pour sa sûreté des précautions extraordinaires, ne sortant presque jamais de chez lui et vivant lui-même comme un assiégé au milieu de son armée. Un député aux cortès, le colonel Prim, s’est échappé de Madrid malgré le capitaine-général, qui le menaçait de le faire fusiller, s’il sortait de la ville sans passeport, et est accouru se mettre à la tête des insurgés qui marchaient au secours de leur capitale. La seule nouvelle de la soumission de Barcelone a pu faire rentrer dans leurs foyers ces milices populaires, et quand l’occupation a été consommée, le régent n’a pas cru devoir entrer dans la ville vaincue, mais encore ennemie ; il a fait le tour de ses murs pour se rendre à Valence, comme s’il eût reculé devant la sombre expression des visages et les sourds murmures de vengeance.

Aujourd’hui encore, le capitaine-général Seoane, malgré l’inflexibilité bien connue de son caractère, est obligé de céder devant l’obstination plus inflexible encore des Catalans. Tous les moyens sont mis en œuvre pour faire rentrer la contribution de guerre qui a été décrétée au mépris du texte formel