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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

d’ampleur dans la période et de superlatifs dans l’expression pour célébrer les vertus et les éminentes qualités du ministre des affaires étrangères ! C’est seulement dommage qu’une petite phrase tombe comme un sinistre final à la suite de ce concert d’éloges : « M. Guizot, dit-il, méprise les Français. » Nous pensons que cette fois encore M. Gutzkow se laisse aller au plaisir de commettre une nouvelle gasconnade, ou que son ignorance de notre langue aura faussé dans son esprit le sens des paroles qui lui étaient adressées, car nous ne pouvons supposer qu’un long entretien avec M. Guizot puisse inspirer à celui qui y a pris part cette phrase écrite en forme d’axiome : M. Guizot méprise les Français !

Quant à MM. Molé et Thiers, qui n’ont point fait l’honneur à M. Gutzkow de lui dérouler leur politique, il les traite avec moins de considération, et ne craint pas de ramasser contre eux des calomnies tombées depuis longtemps devant le mépris public. Il serait puéril de relever de pareilles misères ; ce serait accorder à M. Gutzkow une importance qu’il ne mérite pas. Il faut d’ailleurs reconnaître que les journaux sérieux de l’Allemagne n’ont parlé de son livre que pour le stigmatiser. M. Gutzkow n’a plus le droit de repousser le surnom de gamin de la littérature qui lui fut décerné dans son pays quand il publia ses premiers romans, et nous ne nous serions pas occupés de cet écrivain, si nous n’avions tenu à faire voir par un exemple récent avec quelle présomption les régens de la jeune presse allemande viennent à nous, avec quelle insolence ils nous jugent.

Mais pourquoi nous plaindrions-nous des réquisitoires que les écrivains de la jeune Allemagne élaborent contre nous, lorsque nous les voyons, dans leurs momens de loisir, lancer eux-mêmes le fiel de leur satire contre les cités où ils ont reçu le jour et le sol qui les a nourris ? L’Allemagne n’a jamais eu à subir de plus sanglantes épigrammes que celles qui lui ont été jetées du sein d’une terre étrangère par deux de ses enfans, Bœrne et Heine, et à l’heure même où nous écrivons, elle entend de tous côtés, dans ses forums et à ses tribunes, des voix amères qui l’accusent, qui lui reprochent rudement son indolence et sa faiblesse. À Kœnigsberg, un jeune candidat ès-lettres ouvre un cours public d’esthétique. Ce cours est suivi par plus de quatre cents auditeurs, et M. Wasselrode, qui monte en chaire au milieu de cette nombreuse assemblée, se met à railler avec une vive et acerbe ironie les prétentions ridicules et les vices du peuple allemand. S’il veut parler de Munich et de Berlin, « j’aperçois, dit-il, sur le théâtre de ce monde deux villes masquées qui se tiennent bras dessus, bras dessous, et se murmurent à l’oreille avec une coquette confiance leurs petits secrets pour attirer l’attention des autres masques : l’une avec un masque antique, un vêtement grec, veut jouer le rôle d’Athènes, mais elle le joue mal, sous son carton classique, elle boit beaucoup de bière de Bavière, et sous les plis ondulans de la toge grecque, elle fait le signe de la croix et tourne le rosaire entre ses mains. L’autre a une enveloppe mystique et bizarre. Elle porte plusieurs masques et plusieurs costumes, car, de même que le personnage du Songe