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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

lier contraste avec ces massifs et honnêtes in-8o qui semblent inhérens à l’Allemagne. Mais ces petits volumes, si légers en apparence, renferment la quintessence des pensées les plus graves et des considérations les plus élevées. Ils touchent à toutes les questions qui nous agitent le plus vivement, et traitent avec une parfaite assurance du mérite et des défauts de nos hommes les plus éminens. Si, après cela, nous ne connaissons pas très bien notre situation, notre valeur et notre avenir, en vérité c’est notre faute.

M. Gutzkow, qui est venu de Hambourg pour nous présenter, à nous et à l’Europe entière, ce fidèle tableau de notre pays, M. Gutzkow est l’un des novateurs les plus intrépides qui existent de par-delà les montagnes de la Thuringe et les plaines de Saxe. D’abord il a innové dans le style, ce qui, à vrai dire, n’est pas une tâche sans mérite, car la langue littéraire allemande ne ressemble que trop d’ordinaire à un épais fourré mêlé de broussailles, de bruyères, où la lumière du soleil descend difficilement, et il faut savoir gré à celui qui y pénètre avec un instrument tranchant quelconque, ne fût-ce qu’une serpette, pourvu qu’il élague les branches parasites, les rameaux touffus, les longues lianes tortueuses qui, dans les récits des historiens et les contes des romanciers, entravent et voilent le chemin de la pensée. M. Gutzkow s’est fait une façon de langage souple et léger, parfois affecté et souvent prétentieux, mais net et transparent, chose assez rare avant lui. Une fois qu’il a eu atteint par sa légèreté de style cette innovation dans la forme, M. Gutzkow, fidèle à son système, en a imaginé une plus importante et plus profonde : ç’a été de mettre à la place de ces graves et pieuses croyances que l’Allemagne conservait comme le plus pur héritage de son génie national, tous les paradoxes irréligieux et les fantaisies immorales empruntés aux boutades misanthropiques de Rousseau et aux contes de Voltaire. Cette fois, la grave Allemagne, atteinte jusque dans la paix de son sanctuaire, a crié à la profanation ; M. Menzell, qui d’abord avait exalté le génie naissant du jeune athlète, est entré dans une sainte colère et, abdiquant tout à coup l’erreur de son enthousiasme, a lancé contre le spoliateur de l’arche germanique un réquisitoire en forme. La censure s’en est mêlée, les gouvernemens ont pris parti pour la censure, et M. Gutzkow a expié dans la prison de Mannheim les témérités de son roman de Wally.

Ainsi glorifié par une triple innovation de style, de scandale et d’emprisonnement, M. Gutzkow a dû nécessairement se croire appelé à de hautes destinées, et, dans le radieux sentiment de sa puissance et de sa mission, il a voulu voir, il a vu la France et l’a jugée. Ce qui semble à tant d’esprits sérieux une œuvre difficile, l’appréciation exacte d’un grand pays, de ses institutions, de ses hommes politiques et littéraires, n’a été pour M. Gutzkow qu’un léger passe-temps. Un coup d’œil jeté çà et là, une note au crayon, et voilà son jugement arrêté, sa sentence écrite dans deux volumes, que M. Brockhaus, qui devrait connaître la France, puisqu’il a une maison à Paris, n’a pas craint de publier.

Le 17 mars de l’année 1842, M. Gutzkow entre à Paris. Il y entre le cœur