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France, le commerce et la production deviennent démocratiques, c’est-à-dire s’abaissent. Les acheteurs ne se classent plus ; les consommateurs sont sur un pied d’égalité ; les fabricans et les vendeurs n’ont plus qu’un seul niveau. On fait vite et assez bien pour que la marchandise soit acceptée. On fabrique au pas de course ; on achète de même : de là une médiocrité générale dans les produits. Qu’importe le plus ou le moins de perfection ? Une teinte générale s’empare de ce pays aussi romanesque par les faits qu’il l’est peu par les mœurs. Ce mélange d’Allemands, d’Espagnols, d’Irlandais, d’Écossais, de Français, tombant à la fois dans la masse anglo-saxonne et hollandaise qui fait l’ancien fonds de la colonie, devrait donner les fruits les plus bizarres. Nullement. Ces couleurs hostiles s’amortissent et s’éteignent, comme la fusion de toutes les nuances aboutit sur la palette d’un peintre à une teinte grise et sans nom. Ce n’est pas qu’il n’y ait là-bas de terribles drames de la vie réelle. Du côté des Montagnes Rocheuses et vers les régions du sud, la vie des colons est sauvage à épouvanter ; la loi se tait ou reste impuissante. Il se fait dans ces solitudes des actions effroyables et inconnues. On s’est fort étonné en Europe de cette association indoustanique des Thugs et des Phansegars, qui étranglaient scientifiquement les voyageurs sur les grandes routes, et qui constituaient une secte religieuse. Le petit volume publié à Boston, et intitulé : Vie de Murel et ses Confessions, prouve que le même genre d’association, soumis à des combinaisons et à des lois plus raffinées, comme il convient aux petits-fils de la vieille civilisation européenne, existait, il y a cinq ans seulement, aux États-Unis. Même concours de volontés pour le mal et pour le lucre, même cupidité, même secret, même régularité savante dans l’exécution des meurtres. C’est sur les bords du Mississipi que se passent en général ces terribles scènes ; fleuve boueux et sanglant, dont les vagues, dit un Américain, ont englouti plus de cadavres, et les rives caché plus de crimes qu’on ne le saura jamais. Certes, un écrivain de génie tirerait grand parti de la vie de Murel, de celle de Mike, des récits consacrés par les journaux à la perte des bateaux à vapeur le Home et la Moselle. Il suffit de parcourir les procès-verbaux des tribunaux, tels que les papiers publics les donnent, pour reconnaître les matériaux dramatiques dont l’Amérique regorge dans son état de fournaise où se forge, comme un fer rouge, la société de l’avenir.

Ce grand bouillonnement laisse subsister, comme je l’ai dit, quelques-uns des anciens traits nationaux : l’entreprenante énergie et la