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eût de pareilles idées, s’est mitigée peu à peu, mais les rapports mutuels des deux sexes s’en sont toujours ressentis. Aujourd’hui la femme américaine, par un étrange contraste, est soumise à un étouffement moral joint aux meilleurs traitemens physiques. Devant elle, on se lève, on parle bas ; on a soin de ne traiter aucun sujet qui puisse lui déplaire ou la blesser ; elle a la meilleure place à table ou dans une voiture publique, mais elle ne possède ni influence, ni confiance, ni sympathie. On dispose d’elle comme de quelque chose d’incomplet ou de nécessaire, qu’il faut honorer, puisque le dépôt des générations humaines lui est confié, qu’on doit soigner, puisque son affaiblissement altérerait la pureté et la force des races, mais qu’il faut tenir en dehors de toute participation aux droits intellectuels et moraux de l’homme. La prédication du dimanche et le lieu-commun du journal, la causerie avec la voisine et la promenade dans les boutiques, sont les seuls épisodes qui viennent apporter quelque diversion à la plus monotone et à la plus restreinte des existences. Comme il n’y a dans l’air, comme il ne circule dans la société aucun de ces élémens de curiosité intellectuelle dont l’Europe est remplie, et que les hommes ne songent qu’à manger, à boire, à faire fortune et à faire banqueroute, la femme, de son côté, ne pense qu’à se marier le plus tôt possible, élève beaucoup d’enfans, et meurt l’esprit étiolé par la stérilité de sa vie et la répétition constante des mêmes devoirs demi-serviles et des mêmes frivolités sans but. Tels sont les fruits de l’institution de Calvin. La femme n’y est plus un objet d’achat et de vente, une chose matérielle, mais elle y reste passive, timidement docile, sans ressource et sans ressort. On la tolère plutôt qu’on ne l’accepte, et si les générations pouvaient se multiplier en Amérique par quelque autre moyen, on se passerait d’elle très volontiers. Dans les provinces du sud et de l’ouest, les familles se débarrassent de leurs filles par le mariage avant même qu’elles soient nubiles. Il n’est pas rare de trouver dans ces états des femmes de vingt ou vingt-un ans, déjà veuves de deux maris ; il n’est pas rare non plus d’y rencontrer de doubles ou de triples divorces. Toutes les lois et toutes les coutumes de l’Amérique tendent à relâcher le lien sympathique des deux sexes, ou à les rendre indépendans l’un de l’autre. Il suffit d’un danger moral exposé par la femme devant ses juges, pour la délivrer du lien qui lui pèse : « Son mari est un joueur ; — ou il est trop oisif pour alimenter ses enfans ; — ou il leur donne de mauvais exemples et des leçons dangereuses. » Aussitôt le mariage est rompu.