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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

jeté ses langes, ne comprennent absolument rien à ce vieux phénix social de notre monde, qui, depuis 1789, s’agite sur son bûcher, espérant renaître un jour. Willis, en Angleterre, se préoccupe de la façon dont on mange ; Fenimore Cooper, en France, de celle dont on donne le bras à une dame. Cet enfantillage excessif provoque le sourire ; on croit voir une petite fille qui joue, sans les comprendre, avec les bijoux, la boîte à mouches et les mystères de l’aïeule.

L’aveuglement de Fenimore Cooper au milieu de nos émeutes est tout-à-fait burlesque. Il n’y aperçoit que des gardes nationaux qui courent les rues, et des gamins qui braillent. Il est surtout très plaisant lorsque, après avoir présenté l’émeute sous d’assez aimables couleurs, mais se voyant surpris par elle dans les rues de Paris, il se met tout à coup sous la protection d’un corps-de-garde et s’écrie : « Je trouvai bon une fois dans ma vie d’être juste-milieu. » On connaît le talent de M. Cooper pour la narration intéressante, et l’on supposerait assez volontiers qu’un raconteur aussi pittoresque a dû trouver dans le Paris de 1830, dans notre société mêlée et dans les jours les plus étranges de nos derniers temps, quelques matériaux dignes de lui. Eh bien ! non ; cet observateur a passé parmi nous les terribles années de 1830, de 1831, de 1832, du choléra et de Saint-Méry, sans avoir fait sa récolte. Oui, cela est arrivé à M. Cooper. On est effrayé de cette puérilité, de cette nullité des observations d’un homme de talent qui ne sait pas voir. Dickens, homme d’esprit qui babille fort agréablement, nous amuse et nous distrait du moins, quand il nous parle des États-Unis. Mais Fenimore Cooper à Paris, remarquant que les Tuileries ont été construites par Catherine de Médicis, et qu’un garde national qui passe est possesseur d’un très gros ventre, fait peine en vérité ; à quoi servent le talent et la gloire ?

Si M. Cooper nous satisfait peu et ne nous apprend rien lorsqu’il parle de la France, en revanche il contient des révélations fort curieuses sur son pays. Il allègue des faits dont la valeur et l’importance futures sont énormes. Il évalue à cinq cent mille ames par année l’accroissement de la population en Amérique, y compris l’émigration. Déjà la population d’un seul état dépasse celle des royaumes de Hanovre, de Wurtemberg et de Danemark. Souvent aussi il se trompe d’une manière bizarre. À Philadelphie, le mot français mère a remplacé, pour beaucoup de personnes, le mot anglais mother. Cette étrange substitution dicte à M. Cooper une réclamation plus étrange encore. Il prend le mot mère pour le substantif anglais