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mistriss Trollope, Dickens, ont passé au crible l’Amérique ; Cooper, l’auteur des Pencillings, et quelques autres, se sont chargés de faire à l’Europe son procès. Irving, homme de goût, traite les Anglais, ses pères, avec une condescendance filiale.

Grace à ces soixante et quelques volumes, on peut voir l’Amérique sans bouger de place, et tranquillement assis au coin de son feu. On emprunte ainsi les lunettes de vingt personnes de tous les pays, y compris les Américains eux-mêmes. On écoute tous ces rapporteurs, on se garde bien de les croire sur parole, et l’on compare leurs récits. Comment une seule des faces de l’Amérique septentrionale vous échapperait-elle, soumise tour à tour à l’examen contradictoire d’un docteur allemand, d’un diplomate suédois, d’un romancier américain, d’un prêtre, d’un historien, d’un statisticien, sans compter une romancière, une économiste, un marin, un capitaine de cavalerie, un peintre de mœurs et un dramaturge ? Non-seulement les points de vue, mais les époques diffèrent, ainsi que les localités visitées et décrites. Le plus récent et le plus spirituel de ces voyageurs, Charles Dickens, ne se pique ni de philosophie ni de profondeur, mais il est fort gai. Il a rapporté de son voyage une douzaine de croquis, exécutés d’un crayon rapide, qui ne trahit ni mauvaise humeur ni prétention. Si l’on compare à ses esquisses comiques les caricatures amères de mistriss Trollope, les justifications maladroites de miss Martineau, les caustiques accusations du capitaine Marryatt, pendu en effigie par ses hôtes, et qui, en revanche, les a écartelés et crucifiés dans son livre, on obtiendra des résultats curieux. Cette manière de comprendre et de vérifier l’histoire des peuples et des faits m’a toujours paru infaillible. En rectifiant l’une par l’autre des valeurs diverses, il est impossible de ne pas arriver aux sommes véritables ; en balançant les opinions hostiles, on atteint la réalité. Parmi ces contradictions violentes, tous les faits qui résistent demeurent évidens et acquis.

Rien par exemple ne trahit plus vivement le fond du caractère américain et l’état social de l’Union que l’aspect singulier sous lequel nos contrées européennes se présentent à ses voyageurs, et la manière dont ils nous jugent. Ils ont d’incroyables admirations et des colères peu raisonnables. Ils tombent à genoux devant un vaudeville, mais ne donnent pas la moindre attention à nos grands évènemens ou à nos hommes de premier ordre. Les membres, même les plus distingués par l’intelligence, de cette société qui n’a pas encore re-