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homme consulté dans les crises, dans les pas difficiles, et qui, s’il n’a pas joué le premier rôle, a toujours été assez avant dans les grandes affaires pour apprendre beaucoup de choses aux politiques qui viendront après lui.

Les futurs historiens de la restauration auront d’intéressans matériaux. M. Pasquier nous promet positivement ses mémoires ; il y a des papiers de M. de Talleyrand qui doivent paraître à une époque déterminée. Si les mémoires de M. de Châteaubriand ne sont pas destinés à nous révéler des mystères politiques, ils dérouleront du moins un magnifique tableau des deux règnes de Louis XVIII et de Charles X. M. le comte Molé ne sera pas assurément sans confidences à faire à l’avenir. Il y aura donc abondance de témoignages illustres. Ce qu’on y cherchera le plus curieusement, ce sont les causes, grandes et petites, qui ont déterminé la chute d’un gouvernement auquel les conditions de durée semblaient ne pas manquer.

Il est facile aujourd’hui d’être juste envers la restauration, même à ceux qui, lorsqu’elle était debout, n’éprouvaient pas une bien vive affection pour elle. Les passions de cette époque n’ont plus maintenant d’application et de sens. D’ailleurs nous devons aux douze années qui nous en séparent une expérience bien faite pour modifier nos impressions et nos jugemens sur le passé. La restauration s’est perdue plutôt par la forme téméraire qu’elle a donnée à des entreprises que par le fond même des sentimens et des idées qu’elle avait à cœur. Nous dirions volontiers qu’elle a perdu son procès sur une question de procédure. Le parti royaliste avait des croyances et des principes qu’il voulait faire partager à la société française ; cette ardeur de prosélytisme, cette ambition, n’étaient un crime ni envers la constitution ni envers la liberté. Un parti a le droit de demander le triomphe de ses opinions à ses efforts, à une lutte persévérante et publique ; seulement il ne faut pas que ce triomphe se trouve incompatible dans ses moyens et dans son but avec les lois fondamentales de la société qu’on se propose de gouverner en la modifiant. Sur le but, les royalistes étaient divisés : les uns voulaient nier et détruire les résultats positifs et légaux de la révolution, les autres se proposaient plutôt d’en combattre les principes et les tendances envahissantes. Les premiers méditaient une folie ; les seconds, dans leurs desseins, ne dépassaient pas la mesure de leurs droits. Cette division sur le but mit le désordre dans les rangs, et la direction souveraine finit par tomber dans les mains des