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DISCOURS PARLEMENTAIRES.

tipathies : « J’ai de l’éloignement, dit-il, pour ceux qui, par d’odieuses récriminations, presque toujours injustes, toujours impolitiques, fournissent sans cesse des armes et des auxiliaires aux ennemis de la monarchie. Comme je redoute toutes les usurpations, j’ai de l’éloignement pour un petit nombre d’hommes qui voudraient usurper à eux seuls le titre de royalistes… Mon éloignement pour ces mêmes hommes ne diminue pas apparemment lorsqu’ils manifestent trop clairement à mes yeux la pensée de faire, d’une chose aussi sacrée que la royauté et du pouvoir qui en émane, l’instrument de leurs passions, de leur intérêt, de leur ambition. Il peut bien être permis aux ministres, quand on leur répète sans cesse qu’ils ne travaillent que pour conserver leurs places, de répondre qu’on ne se livre à tant d’emportemens que parce qu’on veut les envahir. » M. Pasquier terminait en proclamant ses amitiés, et il élevait aux nues les bons citoyens, qui, disait-il, se montraient d’autant plus royalistes qu’ils étaient plus constitutionnels[1]. Mais le côté droit s’était plutôt reconnu dans le chapitre des éloignemens que dans le chapitre des amitiés, et désormais entre lui et M. Pasquier la brouille fut irrémédiable.

Louis XVIII se sépara avec un regret véritable de M. de Richelieu et de ses collègues ; le gouvernement et la santé lui échappaient à la fois. Il avait vu avec plaisir, dans son conseil, des hommes distingués qui avaient trop de sens et de goût pour aller au-delà de certaines limites dans le royalisme et le dévouement. Jamais il ne fut plus utile à un pays d’avoir un homme d’esprit sur le trône. Tant que Louis XVIII conserva une certaine vigueur de tempérament et de pensée, il lutta non-seulement contre les entraînemens de parti, mais, ce qui est plus difficile encore et plus méritoire, contre les obsessions de famille. « Par un malheur attaché à la nature humaine, a dit Montesquieu[2], les grands hommes modérés sont rares. » Louis XVIII n’était pas un grand homme ; mais si l’on considère que, pendant les six années où ses forces physiques ne le trahirent pas, ce prince gouverna avec la modération la plus habile et qu’il n’avait permis ni aux douleurs de l’exil, ni aux malheurs de sa race d’obscurcir la pénétrante fermeté de son jugement, on ne lui refusera pas une place parmi ces rois qu’un bon sens supérieur recommande à l’estime de l’histoire.

  1. Discours, t. III, p. 171-175.
  2. Esprit des Lois, liv. XXVIII, ch. XLI.