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LES COLONIES PÉNALES DE L’ANGLETERRE.

comme les tribunaux se trouvent séparés la plupart du temps par de grandes distances du théâtre des délits, ce n’est guère que dans le voisinage des villes que l’on y a recours. Ni le maître ni le serviteur ne peuvent appeler la justice à prononcer entre eux. Ils restent donc, l’un à l’égard de l’autre, dans une situation qui approche de l’état sauvage. Le planteur opprime l’assigné, ou l’assigné se joue du planteur, selon que la force est dans les mains de celui qui commande ou de celui qui obéit. Et comme le travail devient de jour en jour plus rare et plus cher, les esclaves de la colonie pénale sont décidément aujourd’hui en position de faire la loi. C’est l’abus de l’indulgence et non l’abus de la sévérité qu’il faut craindre désormais.

On comprend qu’un pareil régime ne soit pas très favorable à la réforme des condamnés. Aussi, malgré le nombre des délits qui demeurent couverts par l’impunité, le bras de l’exécuteur ne s’arrête pas. En 1835, sur une population de 28,000 condamnés, on a compté 22,000 condamnations sommaires dans la Nouvelle-Galles. En un mois, 247 condamnés avaient reçu 9,714 coups de fouet en punition de leur paresse, de leur indolence ou de leur insubordination. La même année, le juge Burton attribuait aux condamnés qui servaient en qualité de domestiques le plus grand nombre des vols simples et des vols avec effraction commis à Sydney. Aussi la plupart des témoins entendus dans l’enquête de 1837 ont-ils demandé que l’usage de placer les condamnés dans les villes comme domestiques fût immédiatement aboli.

La domesticité forcée est aussi la peine que l’on inflige aux femmes déportées, quand on ne les enferme pas dans les ateliers pénitentiaires ; mais la nature de leurs travaux rend cette condition infiniment plus douce pour elles que pour les hommes : elles ne sont pas traitées autrement que les domestiques libres en Europe, et cette indulgence, loin de les corriger, donne carrière à tous leurs mauvais penchans. « On ne peut rien concevoir de pire, dit sir W. Molesworth dans son rapport ; elles s’abandonnent presque toutes à l’ivrognerie et à la prostitution. Et quand il s’en trouverait quelqu’une disposée à se bien conduire, la disproportion des sexes est si grande dans les colonies pénales, que cet état de choses les livre à d’irrésistibles tentations. Une condamnée, par exemple, qui est au service d’une famille, et qui est souvent peut-être la seule femme employée dans le voisinage, se voit entourée par plusieurs hommes dépravés qui l’assiégent de leurs poursuites et de leurs sollicitations. Il faut qu’elle en choisisse un pour amant, si elle veut se délivrer des importunités des autres.