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à la population urbaine, et qui ont contracté des habitudes de dissipation et d’oisiveté dont la contrainte seule peut triompher.

Ces difficultés se manifestèrent au plus haut degré dans les premiers temps de la Nouvelle-Galles. De 1787 à 1820, l’Australie reçut 25,878 déportés des deux sexes, parmi lesquels on ne comptait que 3,661 femmes, ou 14 sur 100. Aussi le nombre des enfans nés dans la colonie pendant cette période trentenaire fut-il à peine de 1,500. Quant à l’état social qui résultait de cette inégalité des sexes, il peut se caractériser d’un mot : c’était la prostitution, ou, pour mieux dire, la promiscuité. Les deux tiers des naissances étaient illégitimes, et il avait fallu, dès 1798, ouvrir des asiles ainsi que des écoles pour arracher les enfans à la contagion des exemples que donnaient les mères, cette source impure de la jeune génération. On comprendra mieux la dépravation vraiment incroyable des femmes déportées quand nous rappellerons que le gouverneur Macquarie, le même qui déclarait en 1810 que le gouvernement ne saurait envoyer trop de condamnés mâles dans la colonie pour la rendre prospère, s’opposait à la déportation des femmes, qu’il considérait comme « nuisant essentiellement à ses progrès. »

L’éloignement et l’inaptitude des condamnés pour l’agriculture sont démontrés par la variété des tentatives faites pendant plusieurs années pour fertiliser le sol. « Je ne connais pas, disait un juge de la Nouvelle-Galles, l’art de transformer des coupeurs de bourse en fermiers. » En effet, dix ans après son inauguration, la colonie ne produisait pas encore le blé nécessaire à la subsistance de ses habitans. La culture de quelques parcelles de terrain ne s’opérait que par voie de travaux forcés. Le gouvernement avait beau émanciper les déportés, leur concéder des terres, leur fournir des instrumens aratoires, des bestiaux et des vivres pour dix-huit mois ; ces nouveaux planteurs avaient bientôt fait échouer les plus sages comme les plus généreuses dispositions. Tantôt ils ne savaient pas résister aux déprédations organisées par les bandes de maraudeurs qui égorgeaient le bétail, pillaient et brûlaient les fermes, et gaspillaient les récoltes en vert ; tantôt ils dissipaient eux-mêmes ces précieuses ressources, négligeaient le sol ou vendaient leur blé pour avoir du rhum, et ne tardaient pas à hypothéquer leur propriété aux débitans de spiritueux, devenus les maîtres et les régulateurs suprêmes de la colonie. « La population de la colonie, dit l’historien Dunmore-Lang, se composait alors de deux classes, celle des vendeurs et celle des consommateurs de rhum. » Le gouverneur Macquarie exprimait la même