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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

acquiescement ferme et absolu. » Que parlez-vous après cela de vos Copernic et de vos Galilée ! Le témoignage des sens est au-dessus de toutes les inductions de la science, et, comme le dit énergiquement M. l’évêque de Chartres, ne pas s’en contenter, c’est prendre en dégoût le soleil. L’école allemande s’efforce de trouver un passage pour aller du moi au non-moi. Kant y emploie toute sa vie, sans y parvenir, et le plus grand nombre de ses successeurs s’épuisent vainement sur ce problème. « Comment ne voient-ils pas que cette séparation du moi et du non-moi, dont ils font tant de bruit, est comblée par la nature ? » En effet, ils n’ont pas vu cela, et puisque la séparation est comblée par la nature, c’est une question résolue. Où sont les difficultés ? Tout est clair, tout est simple et facile ; on avait jusqu’ici fermé les yeux tout exprès pour ne pas voir. Quels efforts ne font pas les philosophes éclectiques pour démontrer l’existence de Dieu ! Ils entassent démonstration sur démonstration. Peine inutile ! « Quiconque a un cœur, et sent qu’il ne s’est pas donné l’être à lui-même, peut-il balancer ? » La philosophie n’a rien à voir avec ce petit catéchisme élémentaire. Les joies austères de la science doivent s’acheter au prix de bien des angoisses ; et s’il n’est pas nécessaire de faire de la philosophie une tragédie comme Pascal, ce n’est pas non plus une idylle. J’admire et je comprends cette tranquillité de M. de Chartres ; mais je ne puis dire que je l’envie.

À quoi se réduit en définitive ce programme annoncé avec tant de pompe et promulgué par un évêque ? Ôtez la course du soleil et quelques naïvetés, il ne contient que l’autorité du témoignage des sens, de la raison, de l’histoire, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’ame et la divinité de la religion catholique. Sur ce dernier point, les éclectiques ne se chargent pas de faire une démonstration qui convient mieux à un évêque, et que personne sans doute ne songe à leur demander. Mais que M. l’évêque de Chartres fasse une enquête, qu’il ne se fie pas aux rapports de quelques journaux hostiles, et il reconnaîtra avec surprise que toutes ces théories qui font, suivant lui, la base de la philosophie chrétienne, sont précisément ce qu’enseignent les professeurs de l’Université. M. l’évêque de Chartres regrettera peut-être alors d’avoir accusé tant d’hommes honorables de corrompre officiellement la jeunesse ; il le regrettera d’autant plus, que ses vertus personnelles et l’éminente dignité dont il est revêtu semblent donner plus de poids à ses accusations. Comment M. l’évêque de Chartres a-t-il pu dire que l’Université prêche le suicide ? Pour établir une telle accusation, il lui suffit d’une phrase de M.  Da-