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heureuse, jamais emprunt si mal choisi. Le bon sens public ne se révolte pas quand on lui dit que Dieu a parlé et qu’il a révélé des mystères ; mais accepter le mystère et rejeter la révélation, ou plutôt transformer le mystère en philosophême et enseigner au nom de la raison ce que la raison ne peut ni démontrer ni comprendre, c’est retourner aux premiers âges de la pensée philosophique et rêver des hypothèses mystérieuses pour abuser les autres et se tromper soi-même sur les problèmes qui intéressent le plus l’humanité. Cette entreprise était au moins plus sérieuse dans l’école d’Alexandrie. Pour Plotin et ses successeurs, la troisième hypostase représentait le Dieu vivant qui gouverne le monde dans le temps et dans l’espace, tandis que l’unité absolue répondait au besoin de la dialectique, qui nous représente Dieu comme l’être inconditionnel, élevé au-dessus de l’étendue et de la durée, et dans lequel il n’y a ni changement ni mouvement. Ainsi ils avaient voulu, dans un seul Dieu, réunir les attributions contradictoires du Dieu de la philosophie vulgaire, conçu à l’image de l’homme, et de celui de l’école d’Élée, placé si haut au-dessus du monde, qu’il ne pouvait plus sortir de son unité absolue et demeurait sans aucun rapport avec la multiplicité et le mouvement. Ils affrontaient ce flot dont parle Platon dans la République et qui menace de l’engloutir, mais en corrigeant cette conception de la plus sévère dialectique par l’introduction dans la même nature d’hypostases inférieures. Le mal était de guérir une blessure par une autre, et, au lieu d’un Dieu mobile ou d’un moteur immuable, les deux écueils qu’avait rencontrés la métaphysique de leurs devanciers, de nous donner un Dieu à la fois mobile et immobile, une unité qui est triple, une triplicité qui est une. Suivez donc au moins l’école d’Alexandrie jusqu’au bout, si vous voulez l’imiter, et comme elle renonçait à la raison pour établir ses hypostases et se jetait dans l’enthousiasme, choisissez votre genre de folie ; mais connaissez l’état où vous êtes, et n’attribuez pas à la raison ce qu’elle repousse de toute sa puissance.

M. Bautain est aussi un trinitaire, quoique pour lui la question soit bien différente : il est catholique, et croit par conséquent au mystère de la Trinité. Son but est de rendre les mystères intelligibles : entreprise, comme on voit, très étrangère aux intérêts de la foi. M. Bautain ne croit pas malgré l’absurdité et à cause de l’absurdité, suivant la vieille et énergique formule ; il ne demande à la raison aucun sacrifice, et recevant de la tradition tout le dogme religieux, il sait le moyen de le transformer en système philosophique. « Ce qu’on veut