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tianisme si malade qu’ils croyaient les pauvres idées saint-simoniennes qu’ils avaient alors de force à le supplanter, attaquent les éclectiques comme n’étant pas ennemis de la religion. Est-ce une illusion ? Non, certes, rien n’est plus vrai, ces deux accusations contradictoires se soutiennent de part et d’autre avec un égal sang-froid, il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en assurer. Il semble, après cela, que la philosophie éclectique n’ait plus qu’à sortir du champ de bataille et à se reposer sur un de ses ennemis du soin de la délivrer de l’autre. Mais puisqu’ils ont fait tout récemment une coalition, et qu’ils ne sont point avertis de leur erreur en se voyant ensemble, il faut bien montrer à tout le monde et à eux-mêmes le secret de la comédie, et qu’ils ne sont autre chose que les deux partis extrêmes d’une assemblée coalisée contre le pouvoir précisément parce qu’il les ménage l’un et l’autre et les empêche d’en venir aux mains.

Faisons comparaître devant nous toutes les armées philosophiques, et rangeons-les en bataille. Voici d’abord l’armée radicale, et l’on n’y compte que trois drapeaux : M. Leroux, M. Buchez, M. de Lamennais ; tous trois séparés par des différences profondes, tous trois dans un isolement presque absolu, trois chefs d’école sans écoles. Le clergé (ou du moins ceux qui parlent pour lui et se servent de son nom) n’a qu’un seul intérêt en présence de la philosophie ; mais outre sa cause générale, il a quelques philosophies qu’il patronne, jeunes écoles qui aspirent à naître, encore ensevelies dans l’obscurité des séminaires, et dont nous attendrons que le nom et les doctrines rompent la fatale barrière et arrivent au grand jour de la publicité. Le seul nom dont le clergé puisse se prévaloir est celui de M. Bautain, dont il désavouait hautement la philosophie à une époque assez rapprochée de nous, et quand il n’était pas aussi nécessaire de rassembler toutes les forces du parti. Vient enfin l’ennemi commun, l’éclectisme, et, de quelque façon qu’on le juge, on ne peut lui contester ni le nom d’école, que ses adversaires ne méritent pas, ni l’influence qu’il a su conquérir à force de persévérance, et dont le déchaînement qui le poursuit est une démonstration sans réplique.

Nous réunissons sous le nom de philosophie radicale les trois différens systèmes de M. de Lamennais, de M. Leroux et de M. Buchez, parce que leur seul commun caractère est de se vouer au service des opinions politiques les plus avancées. C’est un nom nouveau dans l’histoire de la philosophie ; mais il est presque aussi nouveau de voir une doctrine philosophique se mettre à l’abri derrière un parti politique, et se donner des protecteurs à défaut de disciples.