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unes de ces idées fécondes qui s’infiltrent dans la littérature, dans les mœurs, dans l’éducation, pénètrent peu à peu jusqu’aux derniers rangs de la société, finissent par devenir un patrimoine commun de tous les esprits, et donnent à la civilisation d’une époque le caractère auquel l’histoire la reconnaît. Quelle est aujourd’hui la véritable question sociale ? Ce n’est ni l’organisation du travail, ni la réforme politique. Décidez entre la maîtrise et la concurrence, absorbez le monopole des industries privées dans un monopole national, donnez à des ouvriers qui ne savent pas lire le droit d’influer directement sur les affaires du pays, tout cela n’est rien. La première question partout et toujours, mais là surtout où la liberté est proclamée en fait et en droit, c’est l’éducation, et l’éducation, c’est la philosophie. Dans quelques semaines peut-être, on va discuter cette question, et qui sait si, grace à cette manie d’ajournement que nous prenons tous de si bonne foi pour de la prudence, on ne se bornera pas à voter solennellement quelques bourses ou quelques chaires de plus ou de moins ? Et cependant il s’agira là de la véritable émancipation du peuple, de l’organisation des esprits, qui a bien son importance à côté des intérêts matériels ; et si nous n’étions pas aveugles, radicaux ou conservateurs, avons-nous un autre champ de bataille ? S’il est question d’établir cinq cents lieues de chemins de fer, vous trouverez aussitôt des statisticiens pour savoir combien de milliards on y peut jeter ; mais on prendra parti sur l’éducation, on décidera s’il faut moins de formalités pour s’ériger en magistrats de la jeunesse que pour ouvrir une officine de pharmacie, si l’état, qui prend le soin d’interdire au père de famille d’user le corps de son enfant dans les travaux d’une manufacture, le laissera libre d’infecter son ame des plus pernicieuses doctrines, ou de le condamner à un ilotisme perpétuel en le laissant croupir dans l’ignorance ; on choisira entre la tradition et la liberté, entre la religion et la philosophie, sans avoir même jeté un coup d’œil sur ce que sont devenues en France, au milieu de tous ces ateliers et de ces fabriques, les idées philosophiques et religieuses, tant s’est enracinée chez nous l’habitude de tout ramener à des chiffres, et de compter les idées pour des non-valeurs !

Le clergé, qui réclame à grands cris la liberté de l’enseignement parce qu’il connaît l’influence et les ressources dont il dispose, et que, dans de telles conditions, un monopole à son profit lui vaudrait moins que la concurrence, le clergé, ou du moins ceux qui se donnent la mission de parler pour lui, ont commencé, il y a plus d’un an, une sorte de croisade contre la philosophie de l’Université. À les entendre,