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REVUE. — CHRONIQUE.

coteries qui s’arrogent ambitieusement le titre exclusif de conservateurs. Ce choix a assuré, dans un second tour de scrutin, le succès du candidat du ministère. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que M. Vivien est resté avec les 114 ou 115 voix qu’il avait obtenues au premier tour. D’où vient donc la différence entre les deux scrutins ? Il est, ce nous semble, évident que M. Vivien n’a eu que les voix de la gauche et du centre gauche, les voix des amis de M. Barrot et de M. Thiers. Ces voix lui sont restées fidèles. Mais trente à quarante conservateurs, ne voulant pas d’abord du candidat porté par le ministère, n’ont pas osé non plus voter pour un ancien ministre du 1er mars ; au premier tour, ils ont été chercher dans leurs rangs les moins ministériels des conservateurs, M. Wustemberg, qui tolère, dit-on, le cabinet, mais ne l’aime pas, et M. Jacques Lefebvre, qui connaît si bien l’art de se rendre populaire aux dépens des ministres. C’était là évidemment perdre des voix par une sorte d’enfantillage. La première condition pour les hommes politiques, c’est de savoir ce qu’ils veulent. Si on voulait procurer un échec au ministère, il fallait avoir le courage de voter pour M. Vivien. Sans cela, pourquoi se séparer du gros de son parti et se faire compter ? Pourquoi un acte inutile ?

Le ministère a de nouveau appliqué son système de ménagement et de transaction à la nomination des commissaires pour l’adresse. Il n’a porté que deux ou trois de ses amis les plus dévoués ; il a accepté sans contestation des candidats dont le principal mérite pour lui était de lui servir à repousser les candidats de l’opposition. On le voit, le ministère évite sagement les hautes luttes et ménage les esprits rétifs, en retenant, s’il le faut, ses amis dans l’ombre, et en mettant en relief des alliés quelque peu suspects.

Cette conduite ne manque pas d’habileté ; si elle n’annonce pas pour la campagne qui vient de s’ouvrir des opérations de grande stratégie, elle promet du moins les évolutions d’une tactique savante. Le cabinet ne remportera pas de ces victoires décisives et glorieuses qui ôtent pour long-temps toute puissance comme tout courage à l’ennemi ; mais il espère qu’en définitive il gardera le champ de bataille. Il prévoit qu’il aura, lui aussi, des pertes à endurer, des blessures à cicatriser ; il s’y résigne. Au fait, pourquoi ne s’y résignerait-il pas ? Vivre comme on peut, faire ses affaires à petit bruit, cacher ses plaies et passer outre, c’est la sagesse de notre temps. Une conduite opposée paraîtrait de nos jours excessivement orgueilleuse ou tout-à-fait ridicule.

Le cabinet manque visiblement d’unité. S’il y a quelque vérité dans le compte-rendu de la discussion qui a eu lieu dans les bureaux de la chambre des députés, M. le ministre des finances a prononcé sur le droit de visite, sur la question principale du jour, des paroles fort malsonnantes, ce nous semble, pour M. le ministre des affaires étrangères. De même M. Duchâtel n’aurait pas gardé, sur la question de l’union franco-belge, la même réserve que M. Guizot.