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le repos sous des treilles, Rodolphine qui s’éloigne en emportant le bonheur de son fils pour dorer le reste de sa vie, enfin le prince Hermann et la reine de Suède qui se résignent, avec le moins de tristesse possible, à vivre en cessant de se tromper.

Tels sont les faits principaux sur lesquels repose le drame de M. Léon Gozlan. Ces faits sont entourés d’une multitude d’évènemens secondaires que des fils inextricables lient entre eux. L’obscurité et la confusion, voilà les deux grands défauts de la pièce nouvelle ; quant à l’inexpérience de la scène, c’est un de ces défauts dont on ose se plaindre à peine, tant semble parfois maussade et ennuyeuse la qualité qui leur est directement opposée. Ces bouffées d’air et ces élans d’ame, ces parfums du ciel et du cœur qu’on cherche avidement de nos jours dans le roman et dans la poésie, M. Léon Gozlan a essayé de les faire sentir dans son drame. La manière dont il a traité le caractère d’Hermann rappelle une délicieuse bluette de M. Alphonse Karr, les Révolutions de Pirmasents. Le prince allemand est peint avec cette spirituelle et mélancolique bonhomie que l’auteur de Sous les Tilleuls a rencontrée si souvent. Le sentiment germanique se montre plus d’une fois dans la Main droite et la Main gauche, et, ce qui est bien rare, il s’y montre presque toujours dans une juste mesure. Depuis le jour où elles envoyèrent leurs sons à travers le feuillage jauni des bois réveiller la rêverie dans le cœur de René, que de poétiques pensées les cloches ont fait naître et ont bercées ! Ces voix du monde des ames jouent encore un rôle et un rôle heureux dans la pièce de M. Gozlan. Wilfrid est dans cette radieuse extase qui suit l’instant où l’on découvre qu’on est aimé ; tout à coup s’élève dans le ciel un son lointain, écho des chants qui éclatent sous sa poitrine. Une cloche résonne. Wilfrid traduit par une image de bonheur chacune des notes mystérieuses qui lui arrive en traversant l’air, quand survient brusquement un de ses compagnons qui lui crie : « Wilfrid, sais-tu bien ce que te dit cette cloche ? elle te dit : Tu es un lâche ! tu es un lâche ! car elle sonne la mort d’un homme qui se dévoue pour toi. » Dans une des nombreuses péripéties de la pièce, le major Palmer s’est accusé, pour sauver Wilfrid, de l’insulte faite à Hermann. Cette scène est d’un effet saisissant dans sa dernière partie, dans sa première d’une grace fraîche et nouvelle. Je la choisis entre plusieurs autres où l’on trouve également une efflorescence printanière de talent d’autant plus curieuse à constater qu’elle était plus inattendue chez un homme depuis longtemps livré aux fatigantes ardeurs de la presse. Il y a dans la pièce de M. Léon Gozlan quelques gouttes du philtre dont on est ivre quand on a lu l’Intrigue et l’Amour, de ce philtre que Schiller compose avec les larmes qu’essuient les premiers baisers sur les joues des jeunes filles.

Ce que nous reprocherons à M. Léon Gozlan, c’est cet abus si fréquent dans la littérature actuelle, et contre lequel nous avons déjà protesté maintes fois, du sentiment maternel. Quand se lassera-t-on de nous montrer ces mères qui ressemblent à des bêtes fauves ? Quand cessera-t-on de peindre, avec les