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constante affection d’Hermann, est présentée à la reine comme l’ancienne et indispensable gouvernante des serres germaniques. Sans rencontrer aucun obstacle, elle va habiter, dans les environs de Stockholm, la maison de plaisance du prince, avec Wilfrid, son fils et le fils du mari de la reine. La reine semble bien peu clairvoyante ou bien peu inquiète des mœurs de son époux ; c’est qu’elle a des motifs pour respecter les mystères de la bigamie. Elle avait, en épousant Hermann, une fille et un mari, tout comme Hermann en recevant sa main avait une femme et un fils. Sa fille est auprès d’elle, élevée sous un nom emprunté, le nom de la comtesse de Lowembourg. Quant à son mari, c’est un aventurier qui court le monde, espèce de don César qui est parti pour les Grandes-Indes et qu’on croit englouti sous les sables, sous les flots, ou dans les flancs de quelque tigre. Au théâtre, comme on sait, il n’est aucun rivage, même celui des morts, d’où l’on ne revienne ; le don César de M. Gozlan débarque dans le même équipage que celui de M. Victor Hugo, arrivant, lui aussi, des pays les plus extravagans. S’il n’entre point par une cheminée, il ne se présente pas d’une façon beaucoup plus convenable. Il pénètre de force dans le palais de sa femme en rossant les laquais. L’arrivée du major Palmer, c’est le nom d’aventure qu’a pris ce damné mari, entraîne une foule d’évènemens que je n’entends certes point raconter. Qu’il me suffise de dire que Palmer, qui appartient à la classe si connue des libertins sensibles, prend sous son patronage deux amans séparés l’un de l’autre par une foule d’obstacles, Wilfrid et la comtesse de Lowembourg. Wilfrid, qui n’est pas fort au courant des choses de ce monde, comme un véritable amoureux allemand, croyait aimer la reine dans la comtesse de Lowembourg, qu’il avait vue passer entourée d’une pompe royale. Aussi nourrissait-il une haine romanesque et juvénile comme son amour contre ce pauvre prince Hermann, qu’il ne connaissait pas tout en habitant sa maison, grace à une suite de précautions mystérieuses prises par Mme Rodolphine, précautions des plus difficiles à expliquer et peut-être même à comprendre. Un jour Wilfrid satisfait cette haine en insultant Hermann au milieu d’une fête où il est parvenu à se glisser. Il apprend, après ce scandale, qu’il n’a jamais été le rival du prince Hermann, que c’est la comtesse de Lowembourg qu’il aime et même dont il est aimé. Cette révélation vient bien tard. Le mari de la reine est aussi sacré en Suède que l’est chez certains peuples lointains le prêtre qui couve, dit-on, les œufs d’où sortent les oiseaux qu’on adore. Un outrage au prince Hermann doit se payer de la vie. Wilfrid est dans la situation la plus désespérée, quand la Providence lui vient en aide sous les traits de ce Palmer, qu’une bonne action réjouit à l’égal d’un joli visage et d’une bouteille de vin de Chypre. Palmer a encore moyen, tout mari répudié qu’il est, d’agir sur la reine de Suède, et même avec beaucoup plus d’efficacité que le prince Hermann. Il obtient la grace de Wilfrid. Un dénouement moitié riant, moitié mélancolique, un peu grotesque, nous montre Wilfrid qui s’unit à celle qu’il aime, le major Palmer qui part pour aller chercher au loin