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REVUE LITTÉRAIRE.

les grammaires, tandis qu’on ne dérobe point au ciel d’un pays, même en allant se baigner dans l’air de ce ciel, l’esprit qu’il donne à ceux dont il fera verdir la tombe et dont il a éclairé le berceau. Tâchons que la nature se montre plus dans nos œuvres que dans la Henriade, rien de mieux, et allons pour cela entendre quelles voix s’échappent des roseaux du Rhin, rien de mieux encore ; seulement prenons bien garde à ces amours pleines d’une passion dangereuse et emportée comme toutes les amours éphémères qu’inspirent souvent à nos cœurs les bords étrangers. Songeons à ne point boire l’oubli du pays dans le vaste verre rempli d’une bière écumante que nous présentent les enfans de la Germanie. Quand notre ame est près de se noyer dans le pâle azur des grands yeux rêveurs de Marguerite, pensons au sourire, à l’œil vif et aux joues à fossettes de Manon Lescaut.

Il existe un livre moitié pensée, moitié parfum, où la rêverie achève ce que la réflexion n’a fait qu’ébaucher, un livre où les horizons sont voilés, mais par des nuages de pourpre et d’or, non point par des nuées brumeuses : c’est le Reisebilder de Heine. Le malheur de M. Delrieu, c’est d’avoir voyagé dans les pages de ce livre au moins autant que sur les rives du Rhin et dans les forêts de la Bohême. Aux véritables paysages qu’il a bien vus par ses propres yeux, il mêle les paysages fantasques qu’il a vus seulement par les yeux de Heine. Grace à sa nature d’Allemand, l’auteur de Reisebilder trouve moyen d’ouvrir à la fois à son lecteur le monde réel et un monde de porcelaines de Chine. Il éclaire en même temps ses créations de la lumière des rêves et de la lumière de la vie. M. André Delrieu, qui n’a point son secret, reste dans une sorte de crépuscule entre les régions où luit le soleil de tout le monde et ces contrées merveilleuses peuplées seulement d’essaims de songes que l’astre de la fantaisie inonde de ses changeantes clartés.

M. Delrieu avait cependant de quoi se passer des imitations dans lesquelles il persévère pendant tout le cours de son ouvrage. Il possède un sentiment qui suffit à répandre du charme sur une œuvre ; il a de la tendresse pour l’art. Il parle de Beethoven avec émotion et de Mozart avec respect. Il a trouvé moyen d’encadrer dans ses récits d’excursions une sorte de nouvelle où les passions de l’artiste sont décrites avec chaleur et vérité. Que n’a-t-il écrit simplement ce qu’il voyait et ce qu’il pensait sans se préoccuper d’une fantasmagorie étrangère ! Son livre toucherait davantage et surtout serait plus clair, car il faut mettre le défaut de clarté au premier rang des reproches qu’a encourus M. Delrieu. Il a parcouru les rives du Rhin et les montagnes du Tyrol, il a visité les jardins de Munich et les manoirs de la Hongrie, il fait passer un grand nombre de tableaux devant vos yeux, et il explique souvent ces tableaux avec verve ; malheureusement il ne s’inquiète pas assez de placer de la lumière dans sa lanterne.

Un écrivain qui, lui aussi, se préoccupe de l’art, vient de faire sur la scène une tentative accueillie par le public avec un bienveillant intérêt. Il y avait près d’un an déjà qu’il était question d’un drame de M. Léon Gozlan,