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étrangères sont venues se briser sur les lumières nationales, même incomplètes, la nation, recevant un choc violent, a produit de grands résultats, mêlés d’ombres et de clartés, comme un tableau de l’Anglais Martin. Ainsi Rome tombe sur elle et la civilise ; mais bientôt elle se rendort. Les Saxons reviennent secouer son sommeil, dans lequel elle retombe. Les Normands s’emparent d’elle et la vivifient de nouveau. À travers ses études et ses imitations de Boccace, des trouvères, de l’Italie, de la France, on saisit toujours un parfum sauvage et singulier, une mordante saveur qui rappelle la bruyère de ses forêts. Le rhythme de sa poésie est saccadé, l’amour de l’originalité l’emporte sur le charme exquis et complet de la forme, et l’élégance même n’exclut pas la bizarrerie. Un des flots de civilisation les plus puissans et les plus vifs qui aient jamais fécondé cette île singulière, c’est assurément l’invention de l’imprimerie.

Elle en fit d’abord un usage plus puéril encore que l’Allemagne, emploi conforme à la profonde ignorance dans laquelle elle végétait. C’était en 1474, trente ans après l’invention de Gutenberg, un peu tard, comme on voit. Un marchand, né dans le comté de Kent, et nommé Caxton, avait été attiré dans les Pays-Bas, par l’intérêt de son commerce. Sans éducation, sans érudition et sans goût, il fut surtout frappé de la grande importance pécuniaire de la nouvelle industrie, prit « à grands frais, dit-il, et au moyen de beaucoup d’argent, » tous les renseignemens nécessaires, et revint en Angleterre, accompagné de quatre ou cinq ouvriers allemands. Pendant son séjour et son apprentissage à Cologne, il avait déjà fait imprimer sous ses yeux le plus fabuleux et le plus ridicule des livres du moyen-âge, le Recueil des Histoires de Troye, en français, langue déjà mitoyenne et d’un usage général. « Voilà, dit-il à la fin du volume, un livre que j’ai fait faire avec beaucoup de dépense, dans l’ordre que vous voyez. Il est écrit sans encre et sans plume ; chaque homme peut l’acheter à la fois, et tous les livres de cette histoire ont été commencés et finis le même jour. » Caxton mentait. Il ajoutait au mystère du fait le mystère des paroles ; la poésie du commerce a ses licences, et il faut les lui pardonner.

On fit peu d’attention à ce nouvel art qui ne sembla pas important aux chroniqueurs. Hall et Hollinshed parlent beaucoup d’une « girouette neuve plantée sur la croix de Saint-Paul, » mais fort peu de l’imprimerie. Il est vrai que le style de Caxton et le choix des livres qu’il imprimait n’étaient pas de nature à forcer l’admiration. L’An-