Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
LES ORIGINES DE LA PRESSE.

naire, la première partie du Pantagruel de Rabelais, une des curiosités de nos bibliothèques. Josse Bade, Conrad Bade, Vascosan, les Morel, suivent les traces italiennes. Ensuite règne la grande dynastie des Estienne, qui sont à la France ce que les Alde sont à l’Italie, et qui donnent des livres souvent aussi beaux, presque toujours plus corrects que ceux des Manuces. C’est au milieu de cette grande famille qui est bien bourgeoise, bien française, savante et mordante, curieuse et satirique, économe et de bonne humeur, laborieuse et narquoise, famille qui sent son vieux Paris et sa place Maubert, pleine d’une originale et satirique candeur ; famille qui a occupé pendant cent soixante-dix ans son trône, c’est-à-dire sa presse ; — se battant contre les rois, narguant la Sorbonne, faisant des vers, imprimant de la prose, exilée, battue de l’orage, s’y plaisant assez ; — que brille la vive et charmante figure d’Henri Estienne, qui résume tous les caractères de la famille.

Nous avons vu en Italie l’art, en France la critique, en Allemagne la crédulité populaire, recevoir dans leurs bras l’imprimerie naissante. L’Angleterre vient ensuite. Sa place, à elle, est singulière et isolée. Au milieu du XVe siècle, la barbarie y régnait avec la guerre civile ; la féodalité s’y débattait plus obstinément que partout ailleurs : citoyens contre citoyens, échafauds contre échafauds, le peuple écrasé, sur toutes les portes des villes des têtes sanglantes, les Yorks et les Lancastres se disputant les lambeaux d’une couronne meurtrière et mutilée, c’est un affreux spectacle. À quoi bon l’intelligence ? À quoi servira l’imprimerie ? À calmer ces orages semés de cadavres humains, à tempérer ces ambitions frénétiques. La marche de la civilisation anglaise mérite d’être remarquée ; elle ne se fit point, comme celle de l’Allemagne, par le mélange de la féodalité guerrière et de l’érudition théologique ; elle ne releva pas, comme en Italie, de l’héritage latin ; elle n’eut pas pour centre, comme en France, la lutte de l’esprit critique et de la civilisation catholique ; elle avança par secousses, un flot de lumière succédant toujours à une stagnation momentanée, ce qui explique assez bien le caractère imprévu, les saillies originales et les penchans excentriques de ce peuple et de cette littérature[1].

À toutes les époques, l’Angleterre, isolée par sa position insulaire, a marché d’abord lentement vers le progrès. Puis, quand les clartés

  1. Voyez D’Israëli, Warton, Hallywell, etc.