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Jusqu’en 1450, il disparaît, noyé sans doute dans une de ces obscurités où la misère plonge ceux que la Némésis choisit. Pendant ce temps, l’Europe avançait, et la France faisait ses affaires ; l’Anglais, chassé de Paris, chassé de Bordeaux, acculé à la mer, qui est son domaine, laissait partout ses morts sur nos parages. L’Espagne marchait à sa libération définitive, et l’Italie étincelait des clartés de l’art. Nous retrouvons tout à coup l’alchimiste gentilhomme sans le sou, mais sans crainte, à Mayence, en 1450. Il avait quarante-un ans. Déjà la plus belle portion de son âge était dévorée par le travail. Il cherchait ce qui manque toujours au génie, l’argent. Sans doute il eut quelque peine à le trouver ; ne pouvait-on pas dire qu’il avait, neuf ans, travaillé au grand œuvre et n’avait rien produit, que par conséquent il en imposait ? Enfin il trouva son homme, et le troisième acte héroïque s’ouvrit.

Un vieil orfèvre, usurier, riche et retors, avait une fille nommée Christine et, selon l’usage du temps et de l’Allemagne, Fustinn, parce que lui s’appelait Faust. Il comprit que la fortune lui venait, amenée par le génie ; mais, dans le contrat, il prit ses précautions, n’avança son argent qu’à très gros intérêts et se réserva les bénéfices. Gutenberg avait donné son dernier gulden pour avoir du plomb. L’orfèvre avance huit cents gulders. Gutenberg sera vaincu par l’or et la ruse. Il continue à imprimer et à lutter contre toutes les difficultés de l’alliage et de la fonte. Il cherche, il projette, il travaille, il dépense. Alors paraît sur la scène un nouvel acteur fort intéressant et qui va décider de la destinée de Gutenberg. C’est un jeune clerc qui a voyagé, qui a vu la belle ville de Paris et qui a exercé dans l’Université le métier de copiste. Il écrivait merveilleusement bien, et on voit dans plusieurs bibliothèques, entre autres dans celle de Strasbourg, des manuscrits signés de lui qui sont des chefs-d’œuvre. Il se nomme Pierre Schœffer, il est roturier ; le vieux Faust l’admet chez lui pour l’aider dans ses travaux. On peut croire que la jeune Fustinn partagea l’admiration de son père pour la science du voyageur. Profitant des longs travaux précédens, adresse ou bonheur, l’un et l’autre sans doute, le jeune clerc, qui cherchait aussi le grand œuvre, apporte un jour à l’orfèvre une belle feuille, bien réussie, égale, semblable au manuscrit le plus net. Depuis vingt-cinq années, on tendait à ce but. Dryzehn était mort à la peine. Gutenberg y avait blanchi. C’était vers 1454. Ô joie pour le vieux Faust ! il y retrouvera toutes ses avances avec dépens, frais et inté-