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LES ORIGINES DE LA PRESSE.

Non pas. Il aurait dérogé. Il était féodal et chevalier de nom et d’armes, Gutenberg Gensfleisch. Il donnait des idées. Dryzehn, qui, d’après ses conversations rapportées par la servante Barbara, n’avait pas la tête très forte, se chargeait de la partie matérielle ; l’atelier était dans sa maison à Strasbourg. Gutenberg, homme mystérieux et secret, restait dans sa propre maison du faubourg. Il recevait ses associés et les faisait boire[1]. Ceux-ci versaient l’argent à pleines mains, et Gutenberg, engagé à la poursuite de ce nouveau monde, s’endettait horriblement. Ils ne se plaignaient pas du solitaire dévoué à l’entreprise ; ils se ruinaient de compagnie, achetant plomb, étain, matériaux, coupant, essayant, fondant, coulant et ne pouvant obtenir qu’une imitation imparfaite des manuscrits si beaux et si réguliers où la main des scribes, comme dit Janus Dousa, poète latin, « semait des épis de caractères élégans sur des plaines de papier vélin. » On se désespérait ; et l’argent s’écoulait. Riff quitta la partie. André mourut, sans prononcer une parole de mauvaise humeur contre Gutenberg, le prince de ce groupe, et qui se montre toujours calme, rêveur, infatigable et mystérieux. À peine André mort, le gentilhomme se souvient qu’il y a en forme une feuille in-4o prête à imprimer ; il sait la valeur de sa découverte : « Allez vite, dit-il à son valet, défaites la forme et jetez les parties qui la composent sur la presse ou sous la presse ; que personne n’en voie rien. » Il ajoute : « Telle est la nature de la chose que, les parties une fois décomposées, on ne sait plus ce que c’est. »

Le frère du mort est si persuadé de la réussite, qu’il veut remplacer André dans l’affaire ; Gutenberg le déboute de sa demande, au moyen d’un procès. En 1442, son oncle Loheymer meurt à Mayence et lui laisse une rente que Gutenberg, toujours endetté par son œuvre magique, vend au chapitre de Saint-Thomas. Enfin, ruiné sans doute, il quitte Strasbourg, et l’on n’entend plus parler de lui. Pas un volume ne porte sa signature. Le noble ne fera pas métier d’artisan. C’est la première époque de cette misérable vie. Un brave bourgeois est tué déjà par la première explosion de cette autre poudre à canon, et les inventions de Gutenberg, presse, vis, formes, caractères mobiles, essais de gravure en relief, n’ont abouti qu’à des résultats incomplets, sa ruine exceptée, qui est complète.

  1. « … Kein gelt usgeben, do usse für essen und trinken, etc. » Déposition de Heilmann.