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LES ORIGINES DE LA PRESSE.

ponsable de la dette. Mayence essaie de transiger ; les deux sénats de Strasbourg et de Mayence négocient. Hans Gutenberg relâche son prisonnier sur bonne promesse de paiement ; mais vainqueur sur ce point, il est battu sur un autre. Anna Iserin gagne son procès contre lui, le force au mariage et devient Anna Gutenberg. C’est l’avant-scène de cette singulière vie, telle qu’elle résulte des pièces de ces deux procès.

Pendant que la belle Ennelin ou Annette faisait son bonheur malgré lui, quelles idées, quelles études, quelles rêveries occupaient le gentilhomme ? Dans cette ville curieuse, remplie du moyen-âge, demi-allemande, demi-française, active, rêveuse, véhémente, réfléchie, qui se mire dans le Rhin et qui regarde les Vosges, comment passa-t-il son temps ? On ne le voit ni marchand, ni banquier, ni homme d’armes, ni homme de loi ; il rêve. Cependant le rêveur qui attaque une ville et traite avec elle d’égal à égal n’est pas un homme sans énergie. Par quels enchantemens inspira-t-il une vénération si grande à ses nouveaux concitoyens, qu’ils accoururent, l’entourèrent, le supplièrent de vouloir bien lui communiquer ses secrets, de les leur vendre, de les admettre en société de ses bénéfices, de les faire participer à ses découvertes et à ses succès (artes mirabiles, — Sin kunste und afenthur) ? Je n’en sais rien ; mais ce que peu de savans ont voulu voir, c’est cet étrange ascendant de Gutenberg à vingt-cinq ans, pauvre et marié, sur ce qui l’environne. On croit en lui ; on espère en lui ; il a le grand arcane ; il est souffleur, alchimiste, sorcier. C’est quelque chose de comique, et que le dramaturge anglais Ben Jonson a très bien peint dans son Alchimiste, que ce flot de bons bourgeois avides de gain, se disputant d’avance l’or que fera le possesseur du secret merveilleux.

Nous sommes bien loin de l’imprimerie, et nous en sommes bien près cependant. Un nommé André Dryzehn a un petit patrimoine et ne désire qu’une chose, s’associer à ce Gutenberg qui est sorcier. Dryzehn avait le fanatisme de Gutenberg ; ce dernier fait traité avec lui et lui apprend un secret pour tailler le diamant, un secret pour faire ou perfectionner les miroirs. Dryzehn y gagne beaucoup ; mais il soupçonne Gutenberg de lui cacher d’autres arcanes. Il signe un nouveau traité, auquel prennent part un nommé Heilmann et un nommé Riff. À ce traité il sacrifie son patrimoine, met ses meubles en gage, emprunte sur les diamans de sa femme, et meurt n’ayant pas une obole, étendu tout habillé sur un lit, se confessant au curé