Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
LES ORIGINES DE LA PRESSE.

petite maison de pierre rosâtre sur les bords du Rhin, la voûte souterraine de l’inventeur ; un excessif amour du paradoxe, pourrait seul se refuser à la conviction que ces antiques parchemins nous apportent.

Avant de suivre Gutenberg dans sa vie, il est bon d’examiner le temps où nous vivrons tout à l’heure. Au milieu du XVe siècle, une grande chose allait finir. Le monde féodal était mourant. Il avait représenté la force brutale et sauvage, victorieuse de la discipline romaine énervée ; il tombait à son tour, victime de son principe poussé à l’excès. Il avait abusé de sa grandeur, et sa hiérarchie formidable s’était brisée dans l’anarchie des rivalités. Le sang des Armagnacs et des Bourguignons l’étouffait. Le comte de Raiz disait la messe noire en l’honneur du démon, en égorgeant des enfans nouveau-nés ; dernier monstre comme il en apparaît toujours quand les institutions finissent, Héliogabale de cette société sanglante. En face de lui, comme un symbole contraire, Jeanne d’Arc s’élevait sur les débris de la féodalité croulante, dernier type du beau, tel qu’il était conçu dans une époque d’action et de piété.

Unité dans le monde politique, lumière et analyse dans le monde intellectuel, c’étaient les deux aspirations de cette époque. Les grands vassaux s’effacent, les monarchies grandissent, le tiers-état lève la tête ; les rois lui ont donné la main. La chevalerie elle-même est une épée d’ornement, une arme de parade, un souvenir plutôt qu’un fait. À la place des saint Louis, des Suger et des Bayard, quelques hommes d’un sens net et ironique deviennent les instrumens politiques du temps nouveau. C’est un maître des comptes nommé Jean Bureau, un banquier nommé Jacques Cœur ; plus tard un roi plus madré que ces bourgeois, plus futé que ces habiles, Louis XI. Il achève de tuer la féodalité dont il lègue le cadavre à ses successeurs. François Ier n’y retrouvera qu’un fantôme qu’il essaiera en vain de ranimer.

L’esprit européen se débattait violemment. Dès le règne de Charles VI, le justicier commençait à compter ; le clergé, qui avait favorisé le mouvement intellectuel, marchait de pair avec l’homme de loi ; l’écritoire devenait une arme redoutée. C’était un temps de grande fermentation d’esprit. Une fureur de lecture, que Louis XI et le duc de Bourgogne ressentaient à la fois, une frénésie d’écriture attestée par les gains énormes et la haute considération des copistes, une ardeur de savoir, de comprendre, de secouer enfin l’arbre de vie et de mort, l’arbre de science, une fièvre générale avaient saisi