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LA SAUVAGE.

IV.

— La sauvage Indienne au milieu d’eux s’avance :
« Salut, maître. Moi, femme, et seule en ta présence,
Je te viens demander asile en ta maison.
Nourris mes deux enfans ; tiens-moi dans ta prison
Esclave de tes fils et de tes filles blanches,
Car ma tribu n’est plus, et ses dernières branches
Sont mortes. Les Hurons, cette nuit, ont scalpé
Mes frères ; mon mari ne s’est point échappé.
Nos hameaux sont brûlés comme aussi la prairie.
J’ai sauvé mes deux fils à travers la tuerie ;
Je n’ai plus de hamac, je n’ai plus de maïs.
Je n’ai plus de parens, je n’ai plus de pays. »
— Elle dit sans pleurer et sur le seuil se pose,
Sans que sa ferme voix ajoute aucune chose.


Le Maître, d’un regard intelligent, humain,
Interroge sa femme en lui serrant la main.
« — Ma sœur, dit-il ensuite, entre dans ma famille ;
Tes pères ne sont plus ; que leur dernière fille
Soit sous mon toit solide accueillie, et chez moi
Tes enfans grandiront innocens comme toi.
Ils apprendront de nous, travailleurs, que la terre
Est sacrée et confère un droit héréditaire
À celui qui la sert de son bras endurci.
Caïn le laboureur a sa revanche ici,
Et le chasseur Abel va, dans ses forêts vides,
Voir errer et mourir ses familles livides,